L’approche par les droits, mise en œuvre en situation de crise
Journée animée par Bernard PACHOUD – Paris et Denis LEGUAY – Angers en partenariat avec Santé Mentale France et Réh@b’

La crise liée au Covid-19 a rappelé à tous notre vulnérabilité commune, notre dépendance partagée à l’environnement, mais aussi l’importance des ressources de soins médicaux de qualité, ainsi que de toutes les activités, habituellement peu valorisées, du prendre soin (du «care »), en particulier des plus vulnérables.

Dans le champ de la santé mentale, ces pratiques et politiques d’accompagnement et de réhabilitation psychosociale se sont transformées depuis quelques années, en lien avec l’évolution du regard porté sur les personnes vivant avec un trouble psychique et sur leur devenir. La perspective du rétablissement, dès lors qu’elle apparaît accessible et devient l’objectif prioritaire de ces pratiques, requiert de nouvelles conceptions des modes d’intervention et de soutien. Cette évolution des pratiques est par ailleurs influencée par des changements de paradigme, en médecine (avec notamment le développement du paradigme des maladies chroniques), mais aussi au niveau plus général des politiques publiques et de l’action sociale.

Parmi ces nouveaux paradigmes, nous proposons d’évoquer l’approche fondée sur les droits et ce qu’elle implique dans les pratiques d’accompagnement en santé mentale. Cette perspective, devenue le cadre de référence des politiques de développement des Nations Unies, doit être comprise comme alternative à l’approche traditionnelle, fondée sur les besoins. Les personnes n’y sont plus considérées comme l’objet d’une aide, mais comme des acteurs à part entière, au regard de leurs droits fondamentaux. Pour les professionnels du soin et de l’accompagnement, cette valorisation de la participation et de la liberté des usagers implique un ajustement de leur posture, des arbitrages quotidiens entre les logiques de promotion de l’autonomie et celles de la protection de personnes vulnérables.

Cette problématique a trouvé, avec la crise du CoVid 19, un spectaculaire espace d’expression.

A ressurgi la compétition entre la logique des besoins et la logique des droits. Les personnes en situation de handicap, identifiées comme « vulnérables », durent faire l’expérience de nouvelles contraintes, abandonner les espaces d’autodétermination pour respecter de nouvelles règles, au nom de la protection de leur santé, de leurs comorbidités supposées, de leurs difficultés à se défendre, ou à respecter les protocoles. D’autres populations furent aussi concernées, donnant à réfléchir à l’ensemble du corps social, les personnes âgées en EHPAD, les personnes sous main de justice…

Quelques mois après cette tragédie, nous proposons que soit réabordée, et remise dans son contexte l’expérience vécue de la tension entre ces deux approches, qui ne pourra trouver de juste équilibre que par une délibération d’ordre éthique, contextualisée pour chaque situation, et dont nous cernerons les contours

Les contributions à cette journée viseront à apporter un éclairage sur la variété des transformations appelées par cette approche par les droits mais aussi sur les difficultés soulevées par cette approche dans les situations de crise.

Mercredi 25 novembre 2020

9h00 – 13h00 – L’approche par les droits

Cette première demi-journée sera consacrée à définir cette approche et à explorer ses déclinaisons.
Seront abordés les fondements et l’histoire de cette approche, ses liens avec des notions connexes (de capabilités, d’empowerment, de démocratie sanitaire) et les pratiques qui s’en inspirent. La thématique sera envisagée dans l’activité du défenseur des droits, dans les modes de gestion des conflits normatifs vécus par les professionnels du soin et de l’accompagnement, dans l’expérience et les attentes des familles.

9h00 – 9h15 – JACC1 – Ouverture de la Journée – Denis LEGUAY – Angers

9h15 – 10h00 – JACC1A – Que signifie et qu’implique en pratique « l’approche par les droits » en santé mentale ?
Bernard PACHOUD – Paris et Jean-Philippe CAVROY – Santé Mentale France – Paris
Si le recours au droit est familier en psychiatrie, c’est souvent pour encadrer et légitimer une restriction temporaire des droits (pour les soins sous contraintes ou les mesures de protection juridique), dans des situations où est présumée une incapacité (au moins temporaire). La notion d’approche par les droits vise au contraire à promouvoir la reconnaissance et le respect des droits des personnes vulnérables, en tendant à présumer leurs capacités, à prioriser leur autonomie, à reconnaître et favoriser leur pouvoir d’agir. Ce paradigme, initialement fondé sur les droits de l’homme, et qui oriente les politiques du développement des Nations Unies, invite à une transformation des pratiques et politiques sociales. En santé mentale, son actualité est rappelée par les débats sur la mise en œuvre de la Convention internationale relative aux Droits des Personnes Handicapées (CDPH), dont certains articles invitent à reconsidérer les lois ayant trait à la psychiatrie, à infléchir les pratiques d’accompagnement dans le souci de rendre effectif ces droits, voire selon certains à repenser les fondements du savoir sur les troubles mentaux. Nous évoquerons les pratiques concrètes inspirées par ce mouvement.

10h00 – 10h30 – JACC1B – Ce que l’approche par les droits déplace dans le soin en psychiatrie
Delphine MOREAU – Sociologue – EHESP – Laboratoire Arènes – Paris
La référence aux droits fondamentaux n’a cessé de croître en psychiatrie. Elle a été mobilisée pour conjurer les abus et atteintes aux libertés, comme forme de régulation externe du recours à la contrainte.  Cette référence accompagne d’autres évolutions des modèles de soin, notamment dans la place donnée aux personnes soignées : référence à des patients-citoyens dans la réforme de la sectorisation, et plus récemment dans le paradigme du rétablissement ou dans des outils comme les directives anticipées. On assiste ainsi à des déplacements dans les capacités attribuées aux personnes et dans la définition des savoirs nécessaires au « bon soin ». Cela ne se fait pas sans tensions, dans les désaccords sur ce qui fait problème et ce qui serait une réponse adéquate, dans la définition des possibles, dans les confiances réciproques attribuées ou mises en causes, en rejouant certaines oppositions connues : entre protection et coercition, entre droit au risque et risque d’abandon. Certains craignent que ces évolutions traduisent un déni de la manière dont les troubles psychiques affectent les capacités et les vies, voire conduisent à la production d’usagers -consommateurs quérulents et à des processus de responsabilisation-normalisation. Elles peuvent cependant permettre de développer des manières de définir les besoins et les réponses qui incluent davantage les destinataires du soin, leur perspective propre et leurs savoirs situés. 

11h00 – 11h30 – JACC1C – Droit à l’autodétermination, légitimation des choix personnels comme condition du rétablissement. 
Philippa MOTTE – formatrice sur les enjeux de santé mentale au travail – coach et paire aidante – Paris
En me fondant sur l’expérience de mon processus de rétablissement, je montrerai qu’il a requis que je trouve le courage de me donner le droit de mettre en place mes propres stratégies de gestion de mes fluctuations thymiques afin de maintenir mon équilibre et de développer mes aptitudes et mes aspirations. Cette légitimation de mes choix et de leur mise en œuvre fut d’autant moins évidente qu’elle m’a amené parfois à m’affranchir des recommandations médicales, qui fondent leur légitimité sur un savoir scientifique qui m’était présenté comme la condition absolue de mon bien être.

11h30 – 12h00 – JACC1D – Réalités actuelles de l’accès aux droits : constats, analyse, recommandations 
Patrick GOHET – Ancien adjoint au Défenseur des Droits

12h00 – 12h30 – Droits et effectivité des droits dans le champ de la santé mentale : un gap aux conséquences lourdes pour la personne et son entourage
Marie-Jeanne RICHARD – Présidente de l’UNAFAM

Après-midi : L’expérience du CoVid-19

La crise du CoVid-19 a montré le caractère essentiel de l’accompagnement, d’un soutien de proximité aux personnes vivant avec des troubles psychiques et confrontées à l’isolement, au confinement, aux défis à relever pour garder le contact, partager et maîtriser leurs émotions, lutter contre le découragement, poursuivre leur rétablissement. Elle a montré aussi que ces pratiques d’accompagnement et de soutien ont pu se poursuivre, en s’adaptant rapidement à la situation de confinement, avec une inventivité qui sera illustrée par plusieurs présentations. L’accompagnement, quand il est à ce point nécessaire, est donc un droit. Quelles ressources, quelle organisation, seraient-elles alors appropriées ?

13h30 – 17h30 – JACC2 – L’expérience du CoVid-19
Président : Denis LEGUAY – Angers
La crise du CoVid-19 a montré le caractère essentiel de l’accompagnement, d’un soutien de proximité aux personnes vivant avec des troubles psychiques et confrontées à l’isolement, au confinement, aux défis à relever pour garder le contact, partager et maîtriser leurs émotions, lutter contre le découragement, poursuivre leur rétablissement. Elle a montré aussi que ces pratiques d’accompagnement et de soutien ont pu se poursuivre, en s’adaptant rapidement à la situation de confinement, avec une inventivité qui sera illustrée par plusieurs présentations. L’accompagnement, quand il est à ce point nécessaire, est donc un droit. Quelles ressources, quelle organisation, seraient-elles alors appropriées ? 

13h30 – 14h00 – JACC2A – La psychiatrie en France à l’épreuve du CoVid-19
Pierre-Michel LLORCA – Clermont-Ferrand

14h00 – 14h30 – JACC2B – S’aider entre pairs : la démonstration du printemps 2020
Géraldine HUSSER – médiatrice de santé pair en Alsace – Brumath

14h30 – 15h00 – JACC2C – Maintenir des liens et une forme de proximité avec la contrainte de distance
Un représentant des Groupes d’Entraide Mutuels (GEM)

15h30 – 16h00 – JACC2D – Vivre avec une maladie chronique ou un handicap pendant le confinement lié à l’épidémie de Covid-19 : détresse psychologique et facteurs associés
Coralie GANDRÉ – IRDES – Enquête Coclico – Paris
Dans un contexte de crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, le gouvernement français a mis en place des mesures inédites pour en limiter la propagation, incluant un confinement obligatoire au lieu de résidence du 17 mars au 11 mai 2020. Si leur impact psychologique a été objectivé en population générale française, il est susceptible d’être particulièrement marqué chez des personnes présentant déjà de fortes vulnérabilités antérieures liées à leur état de santé ou à un handicap. Cette étude a ainsi pour objectif d’explorer la survenue de détresse psychologique au cours du confinement et les facteurs y étant associés au sein d’une population vivant avec une maladie chronique ou un handicap. Cette population a été contactée par le biais d’un réseau social de patients et d’associations de représentants de personnes malades ou handicapées. Nos résultats, qui montrent une survenue de détresse psychologique chez plus de la moitié des répondants, confirment l’attention à porter à l’ensemble de cette population spécifique. Cette détresse apparait particulièrement liée à des problématiques propres aux individus ciblés (gênes psychiques, intellectuelles ou cognitives préexistantes, difficultés à réaliser des activités de la vie quotidienne avant le confinement ou à appliquer les mesures sanitaires, crainte de ne pas être pris en charge comme les autres). Ces caractéristiques individuelles jouent un rôle plus important que les conséquences socio-économiques du confinement chez ces individus. Cette recherche soutient la nécessité d’encourager la prise en charge précoce de toute détresse psychologique dans cette population, de lui permettre d’adapter les mesures sanitaires à ses spécificités, de favoriser le maintien de ses activités de loisir, de renforcer la communication sur l’absence de triage médical en cas d’infection par la Covid-19 et de prendre toutes les dispositions nécessaires à sa limitation.

16h00 – 17h30 – JACC3 – Rien ne sera plus comme avant : oui, mais quoi ?
Interventions puis table-ronde avec les autres intervenants
Olivier CANCEIL – Santé Mentale France – Saint-Maurice et Marion ESPITALIER – CReHPsy Pays de la Loire – Nantes
Olivier CANCEIL – Psychiatre – Saint-Maurice
En faisant de l’hôpital psychiatrique un lieu potentiel de contamination à éviter, la crise sanitaire liée à la Covid 19 a produit selon les lieux soit une nouvelle désinstitutionalisation, soit un plus grand renfermement exacerbant l’hétérogénéité des pratiques actuelles en psychiatrie qui doit davantage aux impossibilités d’adaptation du système et/ou à ses rationalisations idéologiques qu’à la seule pénurie de moyens. Les remarquables capacités d’adaptation à cette situation des personnes présentant des troubles psychiatriques sévères et persistants ont en revanche apporté un cinglant démenti à ceux qui prédisaient un raz-de-marée de rechutes, validant la pertinence des approches orientées vers le Rétablissement.

Marion ESPITALIER – Psychiatre – Nantes
Lors du confinement du printemps 2020, les motifs de pressions sur la santé mentale ont été nombreux et leurs conséquences bien documentées en population générale.
Les vécus croisés des personnes souffrant antérieurement de troubles psychiques, de leurs proches, et des équipes de soins psychiatriques, ont été explorés lors d’enquêtes réalisés dans les Pays de la Loire : vécus de la réorganisation massive des soins et des accompagnements, des téléconsultations, de la suspension des activités de soins groupales… Mais aussi nouvelles ressources et modalités de communication, tant avec les soignants qu’entre pairs.
L’attention brutalement portée à notre santé – individuelle, collective, physique et mentale – aura-t-elle modifié le regard porté sur les personnes malades ? Le développement autonome par les patients de nouvelles ressources leur aura-t-il permis un nouvel empowerment ? Enfin, les soignants seront-ils prêts à poursuivre les nombreuses réinventions amorcées dans leurs pratiques ?