Retour sur le CFP 2016
Addictions : nouveaux risques, traitements actuels

S21
> S21A – Adolescents à risque, substances et imagerie cérébrale
Jean–Luc MARTINOT – Orsay
> S21B – Addiction au cannabis : état de la question en 2016
Olivier COTTENCIN – Lille
> S21C – Actualités sur les traitements pharmacologiques de l’addiction à la cocaïne
Laurent KARILA – Villejuif

Les points forts :

  • La consommation d’alcool entraîne des altérations de la substance grise et de la substance blanche dès l’âge de 14 ans.
  • La prise en charge des addictions au cannabis et à la cocaïne restent fondées sur les approches psychothérapiques, en particulier motivationnelles.

Le consortium IMAGEN regroupe la plus grande cohorte mondiale d’adolescents en population générale (plusieurs milliers de sujets). Il a pour but d’étudier le développement cérébral et de rechercher des facteurs prédictifs de troubles psychopathologiques. Une des études de vulnérabilité du cerveau à l’adolescence a évalué 2000 adolescents à l’âge de 14 ans, les a suivis longitudinalement et les a réévalués à l’âge de 18 ans. L’évaluation était multidisciplinaire, multimodale, comprenant des approches épidémiologiques, génétiques et des techniques d’imagerie à haut champ magnétique (1).

Imagerie cérébrale et addictions : actualités

Cette étude IMAGEN a retrouvé qu’entre 14 et 16 ans la quantité de matière grise diminuait et qu’en microstructure les fibres de substance blanche s’organisaient. Il existe des variations du développement cérébral avec lesquelles vont interagir les substances psychoactives. L’identification de groupes d’adolescents vulnérables permet des actions de prévention ciblée.

D’autres résultats ont été également publiés :

  • Chez les sujets âgés de 14 ans, une diminution de l’activation des régions striatales était observée chez les fumeurs de tabac par rapport aux non-fumeurs. En outre, une hypoactivation du système de récompense lors de tâches évaluant la réponse cérébrale à l’attente d’une récompense était observée chez les adolescents exposés au tabac lors de la grossesse (2).
  • Dans un groupe de 154 joueurs de jeux vidéo, une augmentation de volume et une hyperactivité du striatum était observée chez les sujets jouant plus de 9 heures par semaines.
  • Il existait un sous-groupe d’adolescents dont le développement de la matière grise était modifié par la consommation de cannabis. Les sujets à risque de trouble psychotiques présentaient une diminution de substance grise et une augmentation du risque de schizophrénie. Un effet-dose a été retrouvé, le risque de schizophrénie augmentant avec l’intensité de la consommation (3).
  • Des résultats préliminaires ont indiqué des altérations de la substance grise au niveau du cortex frontal chez les sujets âgés de 14 ans consommateurs d’alcool, ainsi que des modifications de la substance blanche au niveau du tronc cérébral.
  • Un volet de l’étude IMAGEN, publié dans Nature, a montré que certaines variables liées à l’histoire du sujet, en particulier les ruptures sentimentales, ainsi que certains traits de personnalité tels que l’extravagance et la sensibilité à la nouveauté étaient prédictives de la consommation problématique d’alcool (binge drinking) à l’âge de 16 ans (1).
  • Le poids des facteurs génétiques apparait plus tard : dans un groupe à risque de 120 adolescents présentant des symptômes de dépression sub-syndromique, l’hypoactivation en réponse à l’anticipation d’une récompense était prédictive de la transition vers un état dépressif deux ans plus tard.

Cannabis : actualités

En 2014, 17 millions de français âgés de 11 à 75 ans avaient expérimenté le cannabis au moins une fois, 4,6 millions en avaient consommé au cours de l’année précédant l’enquête, 1,4 millions en consommaient régulièrement (au moins 10 fois dans le mois) et 700 000 en consommaient quotidiennement. Aux Etats-Unis, dans un climat de légalisation, 9 états ont légalisé le cannabis, 10 états l’ont dépénalisé, avec des rentrées fiscales de 3,5 milliards de dollars. La perception des dangers induits par le cannabis étant en baisse là-bas, la fréquence des troubles liés à l’usage de cannabis apparait en hausse ces dernières années (4). Le taux de dépendance est de 42% chez les gros consommateurs.

Pourtant, les effets nocifs de la consommation cannabis, notamment les effets psychotropes du delta-9 THC, sont maintenant bien connus : addiction, troubles cognitifs, troubles anxieux, troubles psychotiques, troubles respiratoires, notamment de cancers et de troubles cardiovasculaires (infarctus du myocarde, arythmies cardiaques, hypotension artérielle…).

Sur le plan thérapeutique, les thérapies de renforcement des motivations, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et le management des contingences (bons d’achats) ont montré leur efficacité, même si celle-ci reste modeste (4). La combinaison des trois apparait efficace, mais limitée dans le temps. Il faut également citer les approches familiales (multidimensional family therapy). Les thérapies de renforcement des motivations sont plutôt efficaces pour réduire l’ambivalence, les TCC pour favoriser des périodes plus longues d’abstinence.

La plupart des psychotropes n’ont pas d’effet sur la consommation de cannabis, notamment les thymorégulateurs et le zolpidem. Des approches substitutives ne sont pas disponibles actuellement, bien que des essais, notamment par THC oral 10 mg/jour aient retrouvé une diminution du craving et des manifestations de sevrage. Le THC et la lofexidine agoniste des récepteurs alpha2 noradrénergiques et la nabilone, cannabinoïde synthétique, pourraient avoir des effets synergiques. Le baclofène pourrait diminuer le craving mais pas la consommation. Enfin, des agents glutamatergiques tels que la N-acétyl-cystéine pourraient être efficace pour diminuer la consommation.

En pratique, la prise en charge est le plus souvent ambulatoire, en traitant les comorbidités. L’hospitalisation est justifiée en cas de doutes diagnostiques ou de polyaddictions. Le traitement du sevrage est symptomatique.

Cocaïne : actualités thérapeutiques

D’après les recommandations de l’HAS de 2010, le bilan somatique d’un patient cocaïnomane devrait comprendre des bilans cardiologiques, ORL et infectieux très complets, un bilan pulmonaire si le patient fume et un bilan neurologique en raison du risque d’accidents vasculaires cérébraux et de crises convulsives. L’évaluation psycho-addictologique comprend l’évaluation de la symptomatologie de sevrage, du craving, l’évaluation neuropsychologique (« rien ne marche ») et l’évaluation des comorbidités psychiatriques.

Les approches pharmacocinétiques expérimentales (immunothérapie, vaccins) favorisent l’abstinence. Malheureusement, on observe un phénomène d’échappement et les anticorps s’avèrent peu stables. En outre, les risques de surdose sont réels du fait que certains sujets surconsomment pour contrer les effets des vaccins. Des études préliminaires ont retrouvé que des enzymes génétiquement modifiés pouvaient transformer la cocaïne en métabolites inactifs dans le plasma. Les approches pharmacodynamiques, ciblant notamment les récepteurs glutamatergiques et gabaergiques pourraient être intéressantes, mais aucune molécule n’a l’AMM. La n-acétyl-cystéine à doses élevées (2400mg/jour) pourrait diminuer la symptomatologie de sevrage et le craving. Des résultats intéressants ont été obtenus avec le topiramate (5). Le disulfirame pourrait réduire la consommation (Karila 2016) Le modafinil n’a pas montré d’intérêt chez ces patients. Les approches substitutives par méthylphénidate LP sont discutées, notamment chez les 30% de cocaïnomanes présentant des TDAH.