CFP 2019
Le Cannabis thérapeutique : il ne devra pas faire PSHIT !
Président : Amine BENYAMINA – Villejuif

En France, deux dérivés du cannabis sont disponibles en thérapeutique, mais peu ou pas utilisés : le sativex (delta-9-tétrahydrocannabinol et cannabidiol) sous forme de spray buccal qui a obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) en 2014 dans la spasticité liée à la sclérose en plaques, mais n’est pas commercialisé, faute d’accord sur le prix. Le marinol (dronabinol), accessible depuis 2003 sur prescription hospitalière dans le cadre d’une Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU) dans les douleurs neuropathiques après échec thérapeutique, dans les nausées et vomissements lors des chimiothérapies anticancéreuses, et dans l’anorexie chez le patient VIH, est peu utilisé.

L’expérimentation du cannabis thérapeutique en France

L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) a créé en septembre 2018 un Comité Scientifique Spécialisé Temporaire (CSST) « Évaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France ». Le terme « cannabis thérapeutique » recouvre la plante de cannabis à l’exclusion des spécialités pharmaceutiques disposant d’une AMM ou d’une ATU (sativex et marinol). L’ANSM va mettre en place une expérimentation durant 2 ans sur la mise à disposition de cannabis thérapeutique dans 5 indications :
  • Douleurs neuropathiques réfractaires
  • Certaines épilepsies sévères et pharmacorésistantes
  • Soins de support en oncologie
  • Spasticité douloureuse de la sclérose en plaques
  • Situations palliatives

Les conditions de l’expérimentation de l’ANSM

L’expérimentation du cannabis thérapeutique comprendra un certain nombre de conditions :
  • Exclusion de la voie d’administration « fumée »,
  • Cannabis thérapeutique diffusé sous forme de fleurs séchées de cannabis et d’extraits à spectre complet, de formes à effet immédiat (sublinguales et inhalées à base d’huile et de fleurs séchées pour vaporisation) et des formes à effet prolongé (formes orales de type solution buvable ou capsules d’huile),
  • 5 ratios tétrahydrocannabinol (THC)/cannabidiol (CBD) disponibles : THC/CBD 1/1, 1/20, 1/50, 5/20 et 20/1,
  • Adaptation posologique par titration par le médecin jusqu’à obtention de la dose minimale efficace et/ou d’effets indésirables tolérables par le patient,
  • Initiation du traitement réservée aux médecins formés, par e-learning, exerçant dans des centres de référence prenant en charge les 5 indications retenues par le CSST. Les médecins de ville pourront prendre le relais lorsque le patient est stabilisé.
  • Suivi des patients, avec registre national pour évaluer régulièrement le bénéfice/risque et les effets indésirables par les réseaux de pharmacovigilance et d’addictovigilance,
  • Dispensation en pharmacie « à usage intérieur » et en officines, seulement si le prescripteur a été formé et le registre de suivi rempli,
  • Evaluation menée par un comité scientifique pluridisciplinaire comprenant des représentants des patients.

Les limites et controverses

Plusieurs spécialistes ont souligné que les études d’efficacité du cannabis thérapeutique étaient souvent de mauvaise qualité méthodologique, avaient un effet modeste et portaient sur de petits nombres de patients (1). Heureusement, plusieurs revues systématiques de la littérature ont fait le point sur la question (2,3). Globalement, les indications retenues par le CSST correspondent à des indications où le cannabis thérapeutique a montré son efficacité. Par exemple, aux Etats-Unis, le rapport des National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine en 2017 a rapporté les effets bénéfiques et nocifs du cannabis sur la santé selon les méthodologies de la médecine fondée sur les preuves (3, résumé dans 4). Il a conclu que le cannabis thérapeutique pouvait être efficace avec un niveau de preuve élevé dans le traitement des douleurs chroniques chez les adultes, les cannabinoïdes oraux pour améliorer la spasticité dans la sclérose en plaque et dans le traitement des nausées et vomissements induits par les chimiothérapies.
En revanche, dans d’autres indications, le niveau de preuve était modéré (fibromyalgie, troubles du sommeil liés aux apnées du sommeil obstructives) ou faible (amélioration de l’appétit et la perte de poids induits par l’infection HIV/SIDA, syndrome de Gilles de la Tourette, amélioration de la pression intra-oculaire liée au glaucome, symptômes dépressifs chez les sujets douloureux).
Au Canada, où l’usage thérapeutique du cannabis est autorisé depuis 2001 et l’usage récréatif légalisé en 2018, des experts ont recommandé de ne prescrire de cannabis médical que dans les douleurs neuropathiques, le traitement palliatif des douleurs cancéreuses, la spasticité associée à la sclérose en plaques, les nausées et les vomissements induits par la chimiothérapie et de ne pas le prescrire dans d’autres indications (2).
Des réserves ont été émises, notamment sur les effets indésirables nombreux du cannabis et l’augmentation de la consommation facilitée par la diffusion du cannabis thérapeutique, notamment chez les jeunes, comme l’a souligné l’Académie de Médecine en France http://www.academie-medecine.fr
Par ailleurs, un juteux business en train de se mettre en place, le cannabis, et la constitution d’un lobbie du cannabis, comme aux Etats-Unis, le National Cannabis Industry Association https://thecannabisindustry.org pose question. Ce lobbie a intérêt à faire l’amalgame entre cannabis thérapeutique et cannabis « bien être », panacée pour toutes sortes de problèmes de santé et le vendre comme tel en s’appuyant sur des études peu fiables méthodologiquement.

Un symposium sur le cannabis thérapeutique au CFP de Nice

L’expérimentation du cannabis thérapeutique par l’ANSM paraît justifiée, pour des indications bien argumentées, bien encadrées et non idéologiques. Au CFP de Nice, le symposium sur le cannabis thérapeutique, avec des experts du CSST, dont son président, précisera sa place dans le traitement des troubles neurologiques, des pathologies mentales, des addictions et de la douleur. Ce symposium devrait répondre à la nécessité d’avoir l’approche la plus scientifique possible et de bien distinguer les différents dérivés du cannabis susceptibles être utilisés en thérapeutique (en effet : THC ≠ CBD ≠ cannabinoïdes ≠ cannabis), notamment pour éviter les confusions ou amalgames.