S19
Mario SPERANZA, Versailles

Les thérapies basées sur la mentalisation (TBM) : fondements théoriques et déclinaisons cliniques

Martin Debbané : Mentaliser, de la théorie à la pratique clinique

Paco Prada : Expérience d’une première implémentation francophone de la thérapie basée sur la mentalisation pour les troubles de la personnalité borderline

Nader Perroud : La mentalisation chez les adultes souffrant de trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH)

Le Pr. Mario Speranza de Versailles et des collègues genevois nous feront découvrir le 30 novembre une thérapie au confluent de différentes pratiques, inspirée du travail auprès de personnes souffrant de troubles de la personnalité et de l’attachement et s’appliquant maintenant à des situations cliniques plus larges. Mario Speranza entrouvre pour nous les portes de cet espace où thérapeute et patient travaillent sur le rétablissement de la confiance épistémique.

C.R : Comment présenter la thérapie basée sur la mentalisation ?

M.S : La thérapie basée sur la mentalisation (TBM) est une forme d’intervention empiriquement validée pour les troubles de la personnalité limite basée sur la théorie de l’attachement et les connaissances issues de la psychologie du développement et des neurosciences cognitives (Bateman & Fonagy, 2004). C’est une pratique thérapeutique à l’interface des approches psychodynamiques, cognitivo-comportementales et systémiques.

Qu’entend-on par mentalisation ?

M.S : Cela fait référence à une forme d’activité mentale imaginative, au sujet de soi ou d’autrui, qui permet de percevoir et interpréter le comportement humain en termes d’états mentaux intentionnels (besoins, désirs, sentiments, croyances, buts, intentions et raisons). Il s’agit d’une acquisition développementale qui émerge au sein des premières relations interpersonnelles et qui est au cœur des processus de régulation de l’individu, du sentiment d’agentivité et de l’intersubjectivité.

S’agit-il d’une thérapie nouvelle ?

M.S : Des thérapeutes d’orientations différentes, que ce soient cognitives, dialectiques, psychodynamiques ou humanistes, reconnaissent dans la TBM certains aspects de leurs propres thérapies. La plupart des techniques qu’on retrouve dans la TBM, comme le soutien, l’empathie, l’exploration et le challenge, sont en effet des éléments de base de toutes les pratiques thérapeutiques.

La spécificité de la TBM est de considérer le renforcement de la mentalisation comme la cible même du traitement. Même si différentes thérapies poursuivent en apparence des objectifs spécifiques (comme l’amélioration de l’introspection ou l’identification de schémas dysfonctionnels) en définitive elles ont toutes comme effet indirect d’augmenter la mentalisation.

Y a-t-il, dans la TBM, des éléments formels précis : nombre et durée des séances, structuration des séances, objectifs définis ?

Dans le cadre des troubles de la personnalité limite, la TBM propose des séances individuelles et des séances de groupe hebdomadaires. Le modèle a été validé sur une durée de 18 mois. La thérapie commence par une formulation partagée des problèmes, ce qui permet d’identifier les cibles du travail. Ces objectifs sont régulièrement rediscutés. Les séances de groupe commencent par une période de psychoéducation pour sensibiliser aux difficultés de mentalisation. Les séances individuelles ne sont pas structurées autour d’objectifs explicites autres que le focus sur la mentalisation. Le processus de mentalisation est considéré comme plus important à soutenir que le contenu spécifique du discours du patient.

La TBM est une thérapie spécifique des troubles de la personnalité limite où elle peut être utilisée aussi dans d’autres contextes ?

La TBM a été développée et manualisée par Peter Fonagy et Anthony Bateman pour les troubles de la personnalité limite. Pour ces personnes la relation thérapeutique est une menace car elle active leurs modèles d’attachement désorganisés avec l’effondrement de la mentalisation qu’elle entraine, chez le patient comme chez le thérapeute. Pour utiliser une métaphore, si l’expérience de confusion vécue par le clinicien face à des patients qui présentent des troubles de la mentalisation rappelle parfois celle d’un navire à la dérive, les techniques proposés par la TBM peuvent être pensées comme des instruments de navigation, des boussoles pour s’orienter dans des eaux troubles.

La TBM fait actuellement l’objet d’adaptations à de nombreux contextes cliniques caractérisés par des troubles de la mentalisation, chez l’enfant comme chez l’adulte : troubles des conduites alimentaires, troubles psychotiques, troubles de l’attention. Le modèle montre également sa pertinence dans des contextes qui se caractérisent par des interfaces entre systèmes qui sont régis par des logiques différentes (sanitaire, social, judiciaire) qui, en raison de leur complexité, mettent en difficulté les capacités réflexives des professionnels (Bevington et al., 2017).

Quelles sont les compétences/qualités du thérapeute qui sont mobilisées ? 

Parmi les aspects essentiels de la posture du thérapeute TBM on peut citer la curiosité, le partenariat avec le patient plutôt qu’un rôle de type “expert”, l’attention à la régulation de l’excitation émotionnelle et la focalisation sur les affects. La TBM encourage la prise en compte de la relation patient-thérapeute, mais sans nécessairement la généraliser à d’autres relations, passées ou présentes. Avec les patients états limites la référence au passé peut être réellement désorganisante.

On a constaté que les personnalités limites bénéficient des interventions psychothérapeutiques mais ont pourtant du mal à les suivre durablement. La TBM a-t-elle une réponse à ce problème ?

Les études sur le développement précoce ont montré que les erreurs d’accordage font partie de l’expérience des dyades mère-bébé. Ce qui caractérise une bonne dynamique relationnelle n’est pas l’absence d’erreurs, mais plutôt la capacité à identifier les erreurs d’accordage et à s’ajuster secondairement en fonction des besoins du partenaire relationnel. Sur la base de ce principe, le modèle des TBM considère les erreurs du thérapeute comme des occasions pour réparer les inévitables malentendus de la relation thérapeutique. Il est probable que ces tentatives d’ajustement permanent du thérapeute témoignent de l’intérêt qu’il porte à l’expérience vécue par le patient et représentent la véritable expérience thérapeutique de la relation : le sentiment de se sentir compris et reconnu dans son expérience vécue. Cette idée renvoie à l’un des concepts les plus originaux du modèle de la TBM : le concept de confiance épistémique (Fonagy et Allison, 2014). Il s’agit de la capacité à faire confiance aux autres et à se laisser transformer par l’expérience de la rencontre. L’ensemble des techniques thérapeutiques utilisées dans le modèle de la TBM, et qui visent à régénérer les capacités à mentaliser, ont en définitive l’objectif de favoriser l’émergence, chez le patient état limite, d’une nouvelle confiance épistémique qui permet de soutenir sa capacité de changement. C’est probablement l’une des raisons qui expliquent une moindre tendance à l’interruption des thérapies TBM.