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S16 : Les déviances sexuelles.
Président de session F. Thibaut
>S16A – Neuropsychologie des agressions pédosexuelles
Mathieu LACAMBRE – Montpellier

Les auteurs d’agression pédosexuelle ne constituent pas une cible habituelle d’efforts thérapeutiques. Ils croisent les psychiatres lors des expertises de responsabilité, mais les travaux visant à préciser leur fonctionnement neuropsychologique ou biologique pour les soigner ou pour prévenir les passages à l’acte restent rares. C’est tout l’intérêt de cette session du CFP.

La prise en charge des auteurs d’agression sexuelles, et en particulier d’agressions pédosexuelles, figure rarement au rang des priorités de notre discipline ou des préoccupations de santé publique. Dans le grand public, cette prise en charge est même souvent vécue comme superfétatoire, comme si elle se faisait au détriment de la prise en charge des victimes, ou, pire, comme si elle constituait une agression supplémentaire pour les victimes.

Les travaux d’équipes spécialisées dans ces prises en charge de délinquants sexuels rappellent pourtant qu’à l’écart de tout jugement moral, le rôle du psychiatre est d’aider toute personne en difficulté psychique, de même que, selon l’esprit du serment d’Hippocrate, le médecin doit délivrer ses soins aussi à l’assassin.

Les travaux qu’a présentés M. Lacambre au CFP de Montpellier sont à cet égard intéressants, puisqu’ils tentent d’éclairer le fonctionnement psychique des auteurs d’agression pédosexuelles, en particulier par la caractérisation de déficits neuro-psychologiques relativement spécifiques. Les résultats de ces travaux conduisent l’auteur à distinguer différents clusters neuropsychologiques, et donc à démembrer cette catégorie des “agresseurs pédosexuels”, unanimement réprouvés, pour isoler certains “sous-types” d’agresseurs, ce qui pourrait conduire à des mesures de soin ou de prévention de l’acte. Les moyens thérapeutiques sont certes encore limités, mais l’intérêt heuristique d’une telle démarche de démembrement est évident.

Une classification en 5 sous-types

De nombreuses fonctions psychobiologiques peuvent être altérées chez les auteurs de passage à l’acte pédosexuel : l’empathie, le contrôle des pulsions, les capacités de jugement moral et social (cognitions sociales et cognitions morales), le système hédonique, les régulations neuro-hormonales de la libido ou de l’agressivité. Les domaines neuropsychologiques explorés dans le travail présenté étaient le niveau intellectuel, la mémoire de travail, l’inhibition de la réponse, la flexibilité cognitive, les distorsions cognitives, et les fonctions exécutives.

En fonction de ces éléments, M. Lacambre a proposé, au terme d’une étude préliminaire, de regrouper les patients auteurs d’infractions pédosexuelles en 5 clusters.

1) Les patients “dépressif carencés” présentent fréquemment des antécédents suicidaires, y compris de façon violente, des antécédents judiciaires liés à des affaires de mœurs ; les passages à l’acte concernent en général des enfants de moins de 12 ans ; le QI est en général inférieur à la normale, de même que le niveau éducatif ; une difficulté de planification est mise en évidence aux tests cognitifs, et il existe au moins une pathologie psychiatrique avérée.

2) Les “beaux-pères incestueux” sont des sujets plutôt âgés, ne passant à l’acte que dans la sphère familiale, sur des victimes de 15 à 18 ans, avec souvent une prise de substance (alcool surtout) concomitante à l’acte : les tests cognitifs montrent des difficultés de planification de l’action, une faible capacité d’introspection, des scores élevés de désirabilité sociale et de certitude dans les croyances ; on retrouve au moins une pathologie psychiatrique avérée.

3) Les “pédophiles homosexuels” sont plutôt âgés, sans enfant, avec un niveau éducatif plutôt élevé, de bonnes facultés d’introspection, des difficultés de planification ; les passages à l’acte sont essentiellement extra-familiaux.

4) Les “opportunistes” sont des sujets plutôt jeunes, sans enfant, avec un QI plutôt modeste ; les passages à l’actes sont souvent violents, favorisés par une prise de substance, avec des victimes de proximité mais extra-familiales, âgées de plus de 13 ans ; ces sujets sont dans le déni de l’acte ou de sa gravité.

5) Les “prédateurs” font souvent des passages à l’acte violents, hors sphère de proximité, de nature quasi exclusivement hétérosexuelle ; les victimes ont en moyenne 13 à 14 ans ; aux tests cognitifs, on retrouve un faible niveau de certitude dans les croyances, et une latéralisation quasi constamment gauche.

Ces travaux encore préliminaires laissent entrevoir la possibilité de caractériser de façon objective des altérations neuropsychologiques, probablement endophénotypiques, chez les auteurs d’agressions pédosexuelles, ce qui pourrait permettre de cibler la prise en charge sur ces déficits.