Les nouvelles technologies ne peuvent s’entendre sans un rapport au temps. Car c’est le temps qui les a dites nouvelles et le temps qui les a vues grandir. Revenons sur leur histoire : L’e-santé est un concept qui est apparu à la fin des années 1990.

Par son préfixe « e », nous pouvons la comprendre comme indissociable des Nouvelles Technologies de l’information et de la Communication (NTIC). Définies comme des services et informations de santé fournis grâce à Internet et aux technologies connexes, nous pouvons néanmoins lui trouver un historique encore plus ancien. En effet, dès 1980, de nombreux logiciels et programmes de gestion des dossiers médicaux ont fait leur apparition. Cette informatisation médicale était alors unilatérale et seuls les professionnels de santé pouvaient y accéder. Mais la temporalité numérique a fait des siennes et la démocratisation d’internet, associée à la pénurie grandissante des professionnels de santé et les longs délais d’attente, va modifier les usages. En 1999 nait ainsi l’association des Médecins Maîtres-Toile Francophones qui fédèrera les premiers médecins webmasters français. Si la forme a changé le sens reste néanmoins encore le même : le patient lit et le médecin écrit. Mais cette communication à sens unique va être rapidement bouleversée par l’accès permanent et peu onéreux au web avec l’arrivée de la « Médecine 2.0 » et la multiplication des forums de discussion. Plus de pression temporelle, plus d’obstacles liés à la mobilité ou à l’éloignement géographique, un accès rapide à l’information et la possibilité de communiquer avec des professionnels ou ses pairs, la santé 2.0 est rapidement un succès. Mais derrière tout succès se trouve le revers de la médaille et si la « Médecine 2.0 » a permis au patient de devenir acteur de sa santé elle a également eu pour conséquence, du fait de la multiplication des forums de discussions, une baisse progressive du crédit accordé aux professionnels de santé à la faveur des opinions générées par l’e-communauté.

Pour preuve de cette évolution une comparaison flagrante entre deux époques : en 1960, l’expérience de Milgram avait démontré la puissance de l’autorité du médecin face aux comportements émotionnels humains. 50 ans après, Christophe Nick met en évidence dans son documentaire « Le Jeu de la Mort » que les nouveaux mediums de communication sont devenus figure d’autorité et génèrent obéissance malgré la demande de réaliser des actions difficilement acceptables moralement.

Au-delà de la plateforme d’autorité et d’information qu’apparait représenter l’e-santé, l’essor de cette dernière est notamment due à l’émergence de la télémédecine et plus particulièrement de la télésurveillance médicale. Au-delà de l’avancée technologique, permettant l’enregistrement et la transmission des données médicales du patient à distance, la télésurveillance médicale a fourni une nouvelle organisation de santé et a modifié les relations médecin-patient en rendant à nouveau le patient davantage acteur de sa santé. Montres, matelas, voire chaussures connectées, font partie de la nouvelle garde de robe des patients. Par ce biais il évalue lui-même son niveau de stress, sa qualité de sommeil ou encore son activité physique. Mais, a bien y regarder, le temps semble encore faire de la résistance. En effet, malgré l’investissement colossal fournit en ingénierie et en développement, ce nouveau type de technologies semble rencontrer un certain nombre d’obstacles empêchant sa généralisation. Lenteur du système, arrêts inopinés, défauts d’interopérabilité et problématiques relevant de la confidentialité font partie de ces obstacles. Mais il apparait que le succès de la télésurveillance médicale, et de la télémédecine en général, dépend surtout des utilisateurs finaux et de la façon dont elle est mise en œuvre. L’acceptabilité de la technologie n’est pas encore loi et semble également dépendre des générations d’utilisateurs concernées.

Alors, faut-il être jeune pour accepter les nouvelles technologies ?

Est-ce que nos aînés sont dépassés ? Méprenez-vous ! Si grands-parents et petits-enfants n’ont pas la même familiarité avec les dispositifs de communication apparus au cours de la dernière décennie, il serait néanmoins inexact de considérer que les plus âgés sont rétifs aux nouvelles technologies. Ils sont, en effet, de plus en plus nombreux à être équipés puisqu’il y a déjà dix ans 37 % des sexagénaires disposaient d’une connexion à Internet à leur domicile. Néanmoins tout n’est pas aussi simple qu’avec les générations « digital native » et l’utilisation des nouvelles technologies chez les personnes âgées implique des considérations spécifiques que ce soit dans les modalités d’utilisation ou la conservation de l’autonomie et du lien social. Car en effet certaines technologies peuvent susciter une réduction des rapports humains et influer sur les émotions de ses utilisateurs.

Mais, au-delà d’un risque supposé de déshumanisation du soin, quels effets ont les nouvelles technologies sur notre ressenti et nos comportements émotionnels ?

500 millions de tweets par jour, plus de 300 millions d’utilisateurs actifs, et plus de 500 millions d’utilisateurs enregistrés en moins de cinq ans. Le contenu de haute dimension généré par des millions d’utilisateurs mondiaux apparait comme une opportunité sans précédent pour étudier les émotions humaines et fournir un suivi en temps réel du niveau de stress et du bien-être émotionnel.

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Si la communication émotionnelle via les nouvelles technologies est similaire à la communication traditionnelle face à face, les codes ont néanmoins changé. Emoticônes à profusion, « like » à s’y perdre, il apparait que nous exprimons davantage nos émotions que par le passé et que des mots avant très spécifiques, tels que aimer ou détester, sont devenus aujourd’hui des génériques « fourre-tout ». Durant longtemps et dans beaucoup de sociétés, l’usage était de ne pas exprimer ses émotions en public. Ce phénomène fut notamment popularisé sous le nom de display rules (règles de conduite). Mais aujourd’hui, notamment via téléphone portable, il est commun d’observer des éruptions immédiates d’émotions en pleine rue. Disputes, déclarations d’amour enflammées, pleurs, cris, nous sommes chaque jour un peu plus témoins des modifications des règles de conduite émotionnelles dû à l’essor des nouvelles technologies. Cette expressivité émotionnelle majorée, particulièrement dans les forums de discussion sur internet, semble aussi engendrer un ressenti émotionnel plus intense à risque de générer des problèmes psychiques à long terme voire des actes suicidaires. En parallèle les techniques de régulation des émotions s’amenuisent au profit d’une seule : la suppression. Les jeux vidéos, en permettant de devenir quelqu’un d’autre, plus fort, et cela instantanément, représentent aujourd’hui pour beaucoup une échappatoire aux difficultés émotionnelles ressenties. Ils fourniraient ainsi à leurs utilisateurs des moyens de suppression émotionnelle séduisants car limitant l’effort cognitif nécessaire.

Les nouvelles technologies, et leur généralisation à travers le temps, n’ont pas modifié que la forme du soin mais également la place du patient, sa vision de la santé, et la gestion de ses émotions ainsi que ses règles de conduite.

A l’ère de la temporalité numérique, comment évaluer le patient en prenant en compte l’ensemble des bouleversements que les nouvelles technologies ont générés chez lui ?