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L’alcoolodépendance n’est pas seulement associée à des troubles cognitifs ou à l’impulsivité. Dans plusieurs études, PierreMaurage et al. (Université catholique de Louvain) ont retrouvé que les sujets alcoolodépendants pouvaient également présenter des troubles émotionnels.

Rencontres avec l’expert du congrès 2014 :
R13 : Difficultés émotionnelles et interpersonnelles dans l’alcoolodépendance : l’apport des neurosciences
Pierre MAURAGE – Louvain-La-Neuve

Les points forts

  • L’ampleur des déficits émotionnels est sous-estimée chez les patients alcoolodépendants.
  • Les patients alcoolodépendants sont plus sensibles au rejet social, pour une part, en raison de ces déficits.
  • Les programmes de programmes de réhabilitation des déficits émotionnels ne sont pas assez utilisés sur le terrain.
En situation expérimentale, les patients alcoolodépendants présentent des déficits majeurs et généralisés de reconnaissance des émotions (1). Ces anomalies ne sont pas liées à des comorbidités psychiatriques, les sujets avec de telles comorbidités étant exclus des protocoles expérimentaux. Habileté émotionnelle majeure, les capacités de décodage émotionnel des patients alcoolodépendants, sont notamment altérées : ils reconnaissent mal les émotions sur les visages d’autrui (2). En outre, lorsque les visages d’autrui sont ambigus, les patients surestiment l’intensité de certaines émotions, tout particulièrement la colère. Ces anomalies augmentent le craving. Les patients n’ont pas conscience des troubles. En imagerie cérébrale, ils correspondent à une activation des zones émotionnelles et une sous-activation des zones frontales (3).

Impact sur les interactions sociales

Les anomalies de décodage émotionnel entraînent des effets sur la vie relationnelle, notamment des problèmes avec les autres. Les patients alcoolodépendants présentent également des déficits d’empathie cognitive et surtout émotionnelle, par exemple des difficultés à la tâche : « je peux déterminer facilement de quoi une personne veux me parler ». En outre, leur perception du rejet social est exacerbée. En imagerie cérébrale, ces dernières anomalies correspondent à une suractivation de l’insula et de l’aire cingulaire antérieure, ainsi que, là encore, à une sous-activation des zones frontales (4).

Conséquences pour la prise en charge

L’existence de déficits émotionnels chez les patients alcoolodépendants plaident pour le développement de programmes de réhabilitation et de réentrainement des biais attentionnels, inspirés des programmes de remédiation cognitives utilisés dans la schizophrénie (par exemple le programme RC2S, Peyroux et Frank 2014) (5). Certains programmes peuvent être utiles dans un but prophylactique chez les jeunes qui pratiquent le binge drinking. Les déficits émotionnels apparaissent en effet très rapidement dans cette population.
Des exemples de tâches de reconnaissance des émotions peuvent être consultées sur le site de l’Université catholique de Louvain,  dans la rubrique Resources & research material