Les conseils locaux de santé mentale se généralisent. Les démarches d’inclusion sociale telles que « Un chez soi d’abord » ont été initiées dans plusieurs grandes villes et se déploient. Les prises en charges innovantes telles que la remédiation cognitive ou l’éducation thérapeutique se fondent peu à peu aux pratiques de soin plus traditionnelles. Et l’on assiste à l’arrivée de nouveaux acteurs tels que les pairs aidants ou les gestionnaires de cas dans le paysage sanitaire. Bref, la psychiatrie française connaît une transformation progressive mais profonde. Et, peut-être pour la première fois dans l’histoire de la psychiatrie française, cela ne suscite pas de guerre de tranchée. Quels sont les ingrédients de cette évolution ? Rencontre avec Denis Leguay l’un des pionniers de la révolution douce.

DenisLeguay

Portrait d’un psychiatre engagé

Denis Leguay est un homme qui se défie de l’autosatisfaction et de la complaisance. Humanité, rigueur et sobriété : le ton de l’entretien qu’il nous accorde est donné d’emblée et résonne presque comme une mise en garde. Il se souvient que c’est vers l’âge de 16 ans que s’est précisée, dans son esprit, la vocation de psychiatre. Cette vocation prend racine, selon lui, sur la perception de l’humain tel qu’il a pu l’appréhender, enfant, auprès de son père, médecin généraliste dans un village rural de la Sarthe. Mais, il associe également cette vocation, à la lecture, dont il nous dit qu’elle fut, à partir de ses dix ans, l’une des principales distractions du pensionnaire qu’il était. En classe de Seconde, il découvre les humanités, en Terminale, il achète son premier ouvrage de Freud : Introduction à la psychanalyse. Il lui semble, avec le recul, que cette démarche s’inscrivait dans une recherche d’élucidation du « mystère humain ».

Roger Wartel, fut, pour Denis Leguay, une rencontre importante. Pendant quinze ans, il travaille avec ce psychiatre, Professeur des Universités et psychanalyste lacanien : il assiste à ses cours de psychiatrie à Angers. Il assiste au séminaire de Jacques-Alain Miller à Paris. Tandis qu’il acquiert une familiarité avec la psychanalyse et les concepts lacaniens, sa pratique de secteur et de psychiatrie de liaison le confronte à une variété clinique ainsi qu’à une certaine insatisfaction ; comment rattacher ces concepts à une ambition d’évolution d’une personne souffrant de troubles psychotiques ? C’est dans un souci de réponses pragmatiques aux difficultés des personnes malades qu’il côtoie qu’il va entamer son propre cheminement. Cependant, il n’est pas dans une démarche de reniement de ses engagements ni des étapes qu’il a franchies. Il semble, au contraire, que si chacune de ses expériences sont passées au crible d’une réflexion critique continue, elles sont aussi conservées et associées aux autres comme autant de cordes à un arc dont la finalité sera, désormais, pour lui, de favoriser le rétablissement des patients. De son enfance dans la Sarthe, Denis Leguay conserve le goût du concret, la notion de vie quotidienne et un ancrage dans la vérité du réel. De la psychanalyse et des concepts lacaniens, il retient l’approche de l’intime, la subjectivité, le dévoilement et la singularité.

Au fil des années, le psychiatre s’est forgé une conviction : il faut s’affranchir du prisme qu’imprime la vision médicale et se concentrer sur ce qui est important pour les personnes atteintes des troubles psychiques à savoir : vivre comme tout le monde, et être aidés dans ce qui fait obstacle à leur participation sociale. Denis Leguay en a la conviction : « le champ qu’il faut maintenant investir, c’est celui de la vie quotidienne, du rétablissement, de la qualité de vie qui vient transcender et mettre au second plan tout ce qui ressort de la maladie ». À l’échelon individuel, la réhabilitation psychosociale doit intégrer des pratiques telles que la remédiation cognitive, les habiletés sociales ou encore l’éducation thérapeutique. Et Denis Leguay insiste sur l’importance de l’organisation des soins comme outil thérapeutique : « notre boulot de médecin, c’est d’organiser le partage et l’accession de tous à ces programmes de réhabilitation qui ne devraient pas être une option mais un standard ». Il envisage également l’engagement à un niveau plus politique : « les psychiatres ont à s’inscrire dans une sorte de plaidoyer. Ils ont un devoir de faire connaitre la réalité : la surmortalité, les inégalités sociales et soutenir l’organisation des usagers qui sont souvent en difficulté pour le faire ».

Denis Leguay a pris sa retraite de psychiatre de secteur l’année dernière mais son engagement en faveur d’une démocratie sanitaire ne s’est pas altéré, il continue aujourd’hui d’œuvrer au sein de La conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) et l’Observatoire régional de santé (ORS) des Pays de la Loire. Il coordonne également les activités d’un Centre Ressource Handicap Psychique (CReHPsy). On l’aura donc compris Denis Leguay est un homme qui ne s’arrêtera pas tout de suite.

Et si Denis Leguay était un nuage…

 

30 points proustiens pour aborder Denis Leguay 

Le principal trait pathologique de mon caractère
Je suis plutôt « phobo-obsessionnel ».

La qualité que je désire chez un(e) patient(e).
L’engagement dans le lien dans le cours d’un travail psychothérapique, l’alliance, la réciprocité, la mutualité, la capacité à prendre du recul, c’est agréable d’échanger avec quelqu’un qui a la qualité de savoir prendre de la hauteur par rapport à sa situation. Les patients ont aussi des devoirs, il y a une dimension éthique dans le travail psychothérapeutique.

Ce que j’apprécie le plus chez mes collègues.
L’engagement personnel dans la recherche de la qualité, l’honnêteté intellectuelle, le refus de la routine, l’exigence éthique et la collégialité loyale. Notre travail, c’est que ça aille mieux pour les personnes et pour l’organisation.

Mon principal défaut en entretien.
Je prends les appels téléphoniques en entretien : Il ne faut pas faire ça !

Mon occupation préférée quand je m’ennuie au cours d’un entretien.
En général je me bats pour faire émerger quelque chose de vivant. On peut avoir envie de s’endormir avec les personnes présentant des traits obsessionnels, tandis qu’avec les personnes qu’on qualifiait dans le temps de personnalités hystériques, on est réveillé !

Mon rêve de bonheur de soignant.
Le rétablissement accompli des jeunes patients vivant avec des troubles schizophréniques que j’ai bien connus.

Quel serait mon plus grand malheur.
Je n’aimerais pas devenir dépendant, perdre ma lucidité.

Ce que je voudrais être (si je n’avais pas la chance d’être psychiatre !).
Chef d’entreprise, ou maçon : Vous faites des trucs qui durent.

Le pays où je désirerais vivre.
Une France qui aurait le goût du bonheur.

La fleur que j’aime.
La rose.

L’oiseau que je préfère.
Le Goéland.

Mes auteurs favoris en prose.
Pas tellement de Modernes… Georges Duhamel, St Exupéry, Camus (pour La Chute), Simenon (pour Le Fils) des auteurs de polars suédois, américains, des philosophes post-68 qui ont remis en cause cette idéologie, des historiens ou journalistes pour l’histoire contemporaine, ou des auteurs d’essais politico-sociétaux.

Mes poètes préférés.
Des poètes simples, concrets, de la vie quotidienne. Je suis davantage sensible à la « chanson des mots », aux œuvres musicales, qu’elles soient classiques (Mozart) ou qu’elles appartiennent au champ de la « variété ».

Mon cocktail lytique préféré (quand y’a vraiment besoin).
Pour moi : Un album de Dire Straits. Ça m’apaise, ça peut même m’endormir.

Mes peintres favoris.
Les hollandais/flamands : Breughel, Vermeer, Turner, Renoir, Degas, Le Caravage, Kandinsky, et, pour faire plaisir à mon ami Yves Sarfati, Courbet.

Mes héros dans la vie réelle.
Je ne vis pas avec des héros dans la tête. Les personnes qui me semblent importantes sont celles qui ont infléchit le cours des choses dans leurs domaines. Je dirais De Gaulle, Tabarly, Yitzhak Rabin, Jeanne d’Arc, Marie Curie… des gens comme ça, qui ont ouvert des voies, ou tenu bon sur une ligne.

Ce que je déteste par-dessus tout au cours d’un entretien.
La lamentation autocentrée et apparemment complaisante, même si je sais que la personne n’a pas toujours le choix de son comportement.

Caractères historiques que je méprise le plus.
La lâcheté.

Le passage à l’acte hétéro-agressif que j’admire le plus.
L’acte de Charlotte Corday qui s’est révoltée contre la terreur et les massacres lors de la révolution française. À cette époque, il y eût une prime aux sanguinaires qui devaient jouir du mal qu’ils faisaient. Je n’ai pas de mots quand j’imagine ce qui a pu se passer en Yougoslavie, au Cambodge, au Rwanda…

La réforme du système de sante que j’estime le plus.
La mise en œuvre (très inachevée) de la démocratie sanitaire, qui change nos paradigmes fondamentaux. Quand on fait soi-même l’expérience de la maladie, on perçoit l’importance d’être associé comme partenaire des soins. Les conférence nationales et régionales de santé (CNS) initiées en 1996 et la loi HPST ont permis d’initier un dialogue entre les acteurs de différents mondes : les libéraux et les publics, les médicaux et les paramédicaux, les syndicalistes et les directeurs d’hôpitaux, les financeurs et les responsables territoriaux…

Le don de la nature que je voudrais avoir.
Une facilité (et un goût) pour les langues étrangères.

Une découverte scientifique qui a une valeur particulière à mes yeux.
Dans notre discipline, les antipsychotiques de seconde génération. Ce n’est pas une vraie découverte, mais c’est quelque chose qui a été vraiment déterminant pour notre pratique. Sans eux, la suite ne serait pas possible.

Une rencontre qui a été déterminante sur mon cheminement en psychiatrie.
Mon Maître Roger Wartel. Mais ce fut un maître sur le plan du compagnonnage professionnel, et de la pratique clinique, pas un maître sur le plan des concepts. La posture du maître à penser m’a toujours paru suspecte.

Réaliser des entretiens en dehors d’un bureau, où ?
En forêt.

Je peux inviter pour un repas à ma table qui je veux, personne vivante ou morte, en choisir 4.
Je les invite un à un, et non tous les quatre en même temps.
J’ose à peine le dire, mais pourquoi pas au fond ? : Jésus-Christ, en tant qu’homme, personnage historique, ce serait passionnant, impressionnant, il a posé le socle culturel de notre civilisation.
De Gaulle : quel parcours !
Et un méchant, un tyran politique, pour savoir si ce style d’exercice du pouvoir relève du réalisme, du simple cynisme, ou s’il s’y intègre une vraie dimension perverse… Le diner s’arrêterait peut-être à l’entrée !

Un film qui donne une vision intéressante de la psychiatrie.
Même si elle est fausse, « périmée », je dirais, parce que c’est un grand film, Vol au-dessus d’un nid de coucou, et, à un moindre degré, Un homme d’exception.

Comment j’aimerais mourir.
Dans l’action.

État présent de mon esprit.
Plutôt serein.

Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence.
Presque toutes. À l’exclusion de celles qui traduisent un « consentement au Mal », le fait de jouir de sa puissance en écrasant autrui.

Ma devise.
Persévérer. On ne peut pas imprimer un changement sans qu’il doive être métabolisé. Il faut respecter ce temps.