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Session thématique du congrès 2014 :
S11 : Être soi-même dans l’autre genre : approches médico-scientifiques actuelles des dysphories de genre
Conférenciers : Thierry Gallarda, Sébastien Machefaux, Eirini Rari, Pascale Piolino

Interview de Thierry Gallarda

Quelles sont les dernières données épidémiologiques ?
A ma connaissance, il n’existe pas d’études épidémiologiques concernant la prévalence du transsexualisme dans l’enfance. Pour les populations âgées de 15 ans ou plus, les estimations de prévalence demeurent très variables. Elles sont le plus souvent basées sur le nombre de personnes transsexuelles qui sont traitées auprès de centres spécialisés ou sur des enquêtes auprès de psychiatres sur le nombre de patients transsexuels traités dans un pays ou une région précise. Le groupe de travail du DSM-V fait état de taux de prévalence variant de 0,005 à 0,014% pour les adultes nés de sexe masculin et de 0,002 à 0,003% pour les personnes nées femmes. La sous-estimation de ces taux est probable : tous les adolescents et les adultes ne sollicitent pas un traitement hormonal et chirurgical auprès de centres spécialisés.

 

Quelles sont les caractéristiques des deux formes cliniques qui sont désormais décrites ?
Ces deux formes différenciées selon leur âge de survenue, dès la petite enfance pour l’une, à la période pubertaire ou plus tardivement pour l’autre, ont toujours été décrites sous d’autres appellations. De fait, elles correspondent à une réalité clinique incontestable.
Les formes tardives qui ne s’enracinent pas au cours des premières phases de la construction de l’identité sexuée (souvent entre deux et quatre ans) sont celles qui soulèvent les questions les plus difficiles au corps médical. Elles sont plus fréquemment rencontrées chez les hommes biologiques (male to female) hétérosexuels ou bisexuels et souvent précédées d’une phase plus ou moins durable de travestissement qui évolue progressivement vers un désir de se débarrasser de ses caractères sexuels secondaires et d’un désir impérieux de vivre pleinement sous une identité de genre féminine. Dans la majorité des cas, ces transsexuelles se projettent dans une sexualité lesbienne ou bisexuelle, parfois auprès de leur compagne, conjointe et/ou mère de leurs enfants. La complexité tient au fait que ces formes semblent être associées à un risque plus élevé de complications anxio-dépressives avant mais aussi après transition, imposant une prudence particulière des équipes médico-chirurgicales dans l’accès à la chirurgie génitale. Chez les personnalités les plus narcissiques, l’idéalisation du genre social féminin peut être telle qu’elle s’accompagne d’un désir de multiples interventions de chirurgie plastique, par exemple de féminisation du visage, dont les résultats en termes de satisfaction pourront être aléatoires.

 

Dans le DSM 5, le trouble de l’identité de genre est transformé en dysphorie de genre. Quelles sont les conséquences de cette nouvelle appellation à tes yeux ?
La volonté des auteurs du DSM5 me paraît s’inscrire dans une volonté de déstigmatiser le plus possible ces personnes qui souffrent d’une non congruence de leur sexe de naissance avec leur identité (sociale) de genre et par là, de participer au mouvement de « dépathologisation » d’une condition qui, il est utile de le préciser, n’a jamais occupé une place clairement définie au sein de la nosographie des troubles mentaux au gré des classifications internationales et avant celles-ci (dès les années 1950, Jean Delay posait déjà la question de la « place » du transsexualisme au sein de la nosographie des troubles mentaux). L’abandon de la notion de « trouble de l’identité de genre » au profit de celle de dysphorie signe donc une évolution considérable dans l’appréhension de cette condition par la communauté psychiatrique.
Malgré son caractère général, la notion de « dysphorie » de genre m’apparaît plus parlante de cette clinique. En insistant intrinsèquement sur la notion de souffrance, de malaise (d’intensités variables) qui naissent de l’éprouvé d’une divergence entre sexe biologique et genre, elle me semble faciliter l’ouverture à des perspectives d’accompagnement, incluant des accompagnements psychologiques, que celle de « trouble ». A mes yeux, c’est donc un bon « compromis » entre les attentes des personnes dysphoriques de genre et des associations qui les représentent et la position médicale.

 

Quels sont les critères actuels d’éligibilité au traitement par transformation hormono-chirurgicale ? Quel recul avons-nous sur ce traitement ?
En premier lieu, il faut savoir qu’une transition hormonale n’est pas systématiquement suivie d’une transition chirurgicale ou que les deux modalités thérapeutiques peuvent être séparées de plusieurs années, selon le désir et la temporalité de la personne dysphorique. L’éligibilité au traitement hormonal et/ou au traitement chirurgical sont toujours évaluées dans le cadre d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) trimestrielle qui réunit l’ensemble des acteurs médicaux, à savoir endocrinologues, chirurgiens et psychiatres ainsi que les psychologues qui ont reçu le patient. Au-delà des enjeux de l’analyse de la dysphorie dans ses liens avec le parcours de vie, les caractéristiques de personnalité ou de l’environnement (contexte socio-économique, insertion socioprofessionnelle, vie affective et sexuelle…), ces RCP sont animées par un objectif d’équilibre entre le respect d’un principe éthique fondamental de bienfaisance pour le patient et du respect de son autonomie. La discussion autour de certaines situations suscite régulièrement des questionnements éthiques qui ont pu être « portés » auprès d’instances telles que le centre d’éthique clinique de Cochin. Les situations apparaissant d’emblée comme inéligibles à une transition hormonale et/ou chirurgicale sont rares mais certaines demandes de transition hormono-chirurgicale traduisent une souffrance psychique symptomatique d’un trouble mental dont les contours dépassent largement le cadre de la dysphorie de genre. Si les processus délirants ou hallucinatoires sous-tendant une demande de transition sont très rares au sein des consultations spécialisées, des situations cliniques complexes associant divers facteurs de vulnérabilité au risque d’effondrement dépressif ou suicidaire sont plus fréquemment représentées. Ces situations me paraissent imposer un accompagnement psychologique et psychiatrique qui peut s’inscrire dans la durée, avant et après transition si cette dernière est décidée.

 

Quels sont les enjeux de l’accompagnement psychothérapeutique de ces patients ?
L’accompagnement psychothérapeutique est issu de la demande de la personne pouvant émaner à des différents stades différents du parcours. Il nécessite une concordance ou une « synchronisation de buts » entre le thérapeute et le patient (Leslie Lothstein), vue la multitude des enjeux situés bien au-delà d’une volonté d’éclairer leur vécu de non-conformité avec le sexe d’assignation à la naissance ; l’atténuation de la souffrance qui en découle, l’exploration des différentes modalités d’expression de l’identité sexuée, l’acceptation du corps avec ou sans intervention, la gestion de la stigmatisation, enjeu majeur et facteur principal de comorbidité, ou bien l’acceptation par les proches et la société, des difficultés relationnelles, sentimentales ou socio-professionnelles, difficultés de gestion émotionnelle, la difficulté de trouver sa place ou d’avancer…

Certains enfants présentent des atypicités de genre, sait-on quelle est l’évolution à l’adolescence et à l’âge adulte ?
Certains enfants présentent en effet des « atypicités de genre », souvent dès leur plus jeune âge, sans qu’on en connaisse le déterminisme même si de nombreuses théories ont pu être développées sur le sujet impliquant notamment la nature des interactions parentales précoces sans véritable confirmation scientifique.
Les taux de persistance de dysphorie de genre à l’adolescence ou à l’âge adulte…varient également selon les études dans des proportions considérables : de 2,2% à 30% chez les sujets de sexe masculin de naissance mais de 12 à 50% chez les sujets féminins. Pour les enfants des deux sexes chez lesquels la dysphorie persiste, la quasi-totalité présente une attirance sexuelle vers des personnes de leur sexe de naissance. Pour les garçons de naissance dont la dysphorie de genre ne persiste pas, la majorité est sexuellement attirée vers les hommes et s’identifie comme homosexuel. Chez les filles de naissance dont la dysphorie de genre ne persiste pas, le pourcentage de celles qui présentent une attirance sexuelle vers les femmes et s’identifient comme homosexuelles est plus faible (32 à 50%) (DSM-V).

 

Aux USA et Pays-Bas, quand la dysphorie de genre persiste jusqu’à 12 ans et qu’elle est accrue par la puberté, un blocage pubertaire est proposé afin de prévenir l’apparition des caractéristiques sexuelles secondaires. Cette question est-elle en débat en France ?
Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler de débat car depuis peu, le principe d’une prescription d’agonistes de la LHRH dans le but de différer l’installation des caractéristiques sexuelles secondaires chez des pré-adolescents chez lesquels la « preuve » a été faite d’une intense et chronique dysphorie de genre depuis l’enfance est accueilli par un certain nombre d’équipes spécialisées dans ces prises en charge. Toutefois, ces prescriptions demeurent quantitativement assez rares et résultent encore une fois d’une concertation pluridisciplinaire d’équipes spécialisées tant en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent qu’en endocrinologie pédiatrique.

 

Enfin, quels sont les projets de recherche en cours ? Quelles perspectives pour l’avenir ?  
Nous menons actuellement un programme de recherche autour de l’identité narrative chez des hommes et des femmes souffrant d’une dysphorie de genre comparés à des hommes et des femmes non dysphoriques (ou « contrôle »). Le programme « TransMEM » s’inscrit dans le cadre du PHRC national.
Notre objectif vise à mettre en lumière et à confronter les modalités de construction de l’identité narrative, par essence multidimensionnelle et unique à chacun, auprès de 40 participants des deux sexes âgés de 18 à 55 ans, présentant une dysphorie de genre (avant toute prise en charge hormonale ou chirurgicale) et celles de 40 participants contrôles de profils sociodémographiques homologues.
Sur le plan scientifique, l’ambition est d’apporter un éclairage sur la manière dont la référence à l’identité sexuée permet d’obtenir une continuité de soi de manière cohérente et constructive dans le temps mais au-delà, lors de la genèse du projet, à la lumière de l’évolution de nos pratiques, notre équipe souhaitait ouvrir d’autres pistes de réflexion pour améliorer l’offre d’accompagnement médicopsychologique actuelle auprès des personnes dysphoriques de genre et/ou désireuses de s’engager dans un processus de transition hormono-chirurgical.