S38

La psychiatrie est en grande partie née en France du refus des chaines et de l’enfermement comme seul horizon de la prise en charge des maladies mentales. Cependant, plus de 2 siècles après, la contrainte physique n’a pas totalement disparue du champ de la psychiatrie. Bien que l’usage de contentions ou de chambres d’isolement ne représente qu’une part infime de la pratique des secteurs, ces mesures sont régulièrement l’objet de controverses, de rapports, de faits divers remettant souvent en cause l’ensemble du fonctionnement des services hospitaliers de psychiatrie.

La loi est récemment intervenue dans ce débat en donnant aux mesures de contraintes physiques (MCP) comme seule justification la prévention d’un passage à l’acte et en en déniant au passage toute justification thérapeutique. Cette « décision » du législateur est cependant loin de clore le débat et laisse les psychiatres de terrain dans une situation difficile, coincés entre des demandes apparemment contradictoires de la société. Le CFP à Montpellier sera l’occasion de faire le point sur cette question particulièrement d’actualité au cours d’une session thématique présidée par le Pr P. Hardy (Bicêtre) qui nous en présente les grandes lignes.

Les MCP en psychiatrie sont actuellement l’objet de nombreuses controverses en France. Mais que sait-on de la réalité de ces pratiques dans notre pays ?

La réalité de ces pratiques est en vérité mal connue. Si certains dysfonctionnements ont pu être mis à jour et commentés par voie de presse, on ne dispose que de peu d’informations sur la fréquence d’utilisation de ces mesures, qui semble très variable d’un établissement à l’autre, comme sur leur adéquation aux « bonnes pratiques » qui dépend bien évidemment du contexte clinique et soignant. Pour cette raison, le Dispositif Territorial de Recherche et de Formation Paris-Sud (DTRF Paris-Sud) a engagé une étude prospective visant à recenser et à décrire la totalité des MCP mises en œuvre dans 9 des établissements de son territoire sur une période de plus de deux mois. Les résultats de cette étude, actuellement encore en cours d’analyse, seront présentés au CFP. Les premières données suggèrent en tout cas qu’il s’agit de pratiques complexes, correspondant probablement à des situations et des problématiques très différentes les unes des autres et difficiles à réduire à un cadre unique.

L’un des reproches régulièrement fait aux MCP est leur absence d’efficacité clinique démontrée.

Il s’agit avant tout de s’entendre sur la notion d’efficacité clinique. En effet, les MCP sont avant tout destinées à « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui ». Dans un tel contexte d’urgence, faute de mesures alternatives auxquelles elles pourraient être systématiquement comparées, il est difficile d’évaluer leur effet préventif, sauf à constater l’absence du passage à l’acte redouté. La véritable question est celle de savoir si une politique de réduction des risques, fondée sur de meilleurs effectifs dans les unités à risque, une meilleure formation des équipes soignantes, l’utilisation de stratégies préventives face à un risque naissant, voire une meilleure utilisation des traitements psychotropes, ne permettrait pas de réduire l’utilisation de ces MCP.

Pour beaucoup de cliniciens, toutefois, les indications d’une MCP telles que la mise en chambre d’isolement vont au-delà de cette prévention. Une MCP peut ainsi être mise en œuvre dans le cadre d’un programme thérapeutique ou en vue d’une diminution des stimulations, y compris à la demande du patient ou avec son accord (HAS, 1998). De telles indications pourraient se prêter plus facilement à des mesures d’efficacité. Il faut noter cependant que la plupart des études, comme celle qui a été réalisée récemment à Toulouse par la Fédération de Recherche Régionale en Psychiatrie et en santé Mentale, soulignent le vécu très négatif des patients par rapport à ces pratiques.

La contrainte physique n’est pas réservée aux services de psychiatrie. Que sait-on de ces pratiques ?

Il est vrai que la psychiatrie a de tout temps focalisé l’attention du corps social dès lors qu’il s’agit de mesures de contrainte appliquées aux individus. Bien d’autres secteurs ont toutefois recours aux MCP (je pense notamment aux services d’urgence et de gériatrie qui ont fréquemment recours à la contention physique). Là encore, il s’agit de pratiques mal connues sur le plan épidémiologique, qui nécessiteraient la même attention que celle actuellement portée à la psychiatrie.

Les recommandations faites sur les MCP semblent souvent déconnectées de la réalité que vivent les psychiatres et les soignants. Quelles sont les pistes qui vous semblent le plus intéressantes pour faire évoluer ces pratiques ?

Le fait de porter la question sur le terrain politique (au sens large du terme) me paraît porteur de progrès, pour peu que cela ne se transforme pas en combats idéologiques. Les pratiques actuelles sont en effet souvent issues d’usages locaux, parfois circonscrits à un secteur plus qu’à un établissement, dont les sources et les fondements n’apparaissent pas clairement. La mise en débat, ouverte et sans a priori, de ces usages peut permettre à chacun de s’interroger sur ses pratiques, de les comparer aux expériences extérieures (données de la littérature incluses) et de s’engager dans une modification globale des pratiques de soins favorisant une utilisation minimale de ces MCP et la conservation du lien thérapeutique avec le patient. Encore faut-il se garder de toute position idéologique qui conduirait à diaboliser les MCP et à considérer leur réduction comme une fin en soi. L’utilisation raisonnée de ces mesures doit bien au contraire être considérée comme un soin et, paradoxalement, comme le point de passage que doivent emprunter certains patients sur le chemin de leur autonomie.