Session S32 : Immigration, précarité et santé mentale : données et hypothèses
Président : Andrei SZOKE ;
Maria MELCHIOR :
Santé mentale des personnes immigrées en situation socio-économique très précaire : l’étude Enfams ;
Andrea TORTELLI,
Prévalence et facteurs de vulnérabilité de psychose et de symptômes psychotiques en population migrante en situation de précarité.
A la place de l’intervention de JP Selten qui ne pourra être présent : Documentaire « A la semaine prochaine » réalisé par Caroline Bibring, sur une consultation réalisée par le Dr Bréhier à Médecins du Monde, commenté par le Dr. Dominique Brengard, pédopsychiatre, consultant au centre de premier accueil pour femmes et enfants migrants à Ivry.

Depuis que les études réalisées dans plusieurs pays d’Europe ont montré l’augmentation du risque de trouble psychotique chez les migrants, différentes hypothèses tentent de comprendre le phénomène.

La migration est un processus complexe, souvent lié aux inégalités économiques entre continents et pays, parfois à des événements dramatiques, porté par l’espoir, si mince soit-il, d’avoir accès à des opportunités qui n’existent pas partout ou de mener un jour une vie décente ou simplement meilleure. Le parcours de migration peut lui-même être semé d’embûches et de nouveaux traumatismes. Pour l’accueil dans le pays de migration, le moins qu’on puisse dire est qu’il varie selon les époques, les pays et les contextes socioculturels mais aussi l’origine des migrants.

Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’actualité de cette question qui divise l’Europe et les peuples en faisant naître des réactions d’inquiétude, de repli et de rejet peu propices à l’apaisement du sentiment d’épreuve et d’échec des arrivants. Or c’est précisément ce sentiment d’échec, de défaite sociale, qui pourrait rendre difficile l’intégration des personnes et leur ancrage dans leur pays d’arrivée, et être le mécanisme principal de la fragilisation psychique. Le fait que les enfants d’immigrés, nés dans le pays d’accueil, qui n’ont pas connu eux-mêmes les traumatismes liés à la migration, présentent également un risque accru plaide en faveur de cette hypothèse. Elle est soutenue par Jean-Paul Selten, un des orateurs prévus du symposium qui ne pourra malheureusement être présent.

L’expérience subjective déterminante pour la fragilité

L’intérêt de l’hypothèse de Selten est de tenter de dépasser le rapport mécanique de cause à effet entres les expériences défavorables objectivement mesurables (statut socio-économique, habitat, évènements de vie, emploi) et l’augmentation des troubles psychiques rencontrés au sein des populations “précaires” ou dans des groupes minoritaires exposés à la stigmatisation. En recoupant différentes études épidémiologiques, les travaux de Jean-Paul Selten montrent que la précarité économique dans des pays peu développés n’est pas associée à une augmentation du risque psychotique, alors qu’elle l’est dans les pays développés. Parmi les groupes de migrants, ceux qui, dans le pays d’accueil, arrivent à recréer du lien social, ont accès aux droits fondamentaux (logement, travail, santé) et sont moins victimes de discrimination, sont aussi ceux pour lesquels le risque est moindre. Pour les traumatismes infantiles, ce sont surtout ceux où l’enfant subit une humiliation et une maltraitance qui augmentent l’incidence des troubles à l’âge l’adulte, plus que ceux arrivant de façon accidentelle et n’impliquant pas l’intervention active d’une personne. Selten suggère donc que c’est l’expérience subjective plus que la condition “objective” qui créée une fragilité, sous tendue par un mécanisme physiopathologique : la sensibilisation du système dopaminergique méso-limbique, comme une sorte de voie finale commune de toutes ces expériences douloureuses abîmant le besoin fondamental de sécurité et la confiance.

Avons-nous en France des études qui ont évalué l’incidence précise des troubles psychiques dans les populations migrantes et/ou précaires ? Depuis les premiers rapports sur la santé mentale et la précarité des années 80, avons-nous progressé avec des études plus précises, comparant nos données à celles d’autres pays, et donnant des pistes pour proposer des actions de prévention, de repérage des troubles et d’orientation vers les soins ?

Maria Melchior et Andréa Tortelli présenteront ce Samedi 1 Décembre les résultats d’enquêtes récentes menées en Ile de France et discuteront avec la salle des expériences qu’elles mènent avec leurs équipes auprès des personnes migrantes et/ ou en grande précarité.

Difficile de ne pas se sentir concerné par la réalité de ces détresses extrêmes et de leurs conséquences en cascade sur la famille, les enfants et le tissu social dans son ensemble. Ce symposium nous donne l’occasion d’en savoir un peu plus et surtout d’échanger sur l’évolution de nos contextes de travail, sur la place que nous pouvons accorder à ceux qui ont tant de mal à venir vers les soins et vers lesquels il faut, nécessairement, aller.

Alors, allons écouter ces collègues qui nous racontent comment ils font.