Pour soigner la schizophrénie, les Suisses n’ont pas joué leur dernière carte
Afin de s’attaquer aux idées délirantes persistantes chez les patients souffrant de trouble psychotique, Jérôme Favrod, infirmier à Lausanne, a utilisé un programme d’entraînement métacognitif. Alors que les TCC classiques se concentrent sur le contenu des idées délirantes, l’entraînement métacognitif aide le patient à prendre conscience des biais cognitifs liés à la maladie : tendance à l’interprétation, erreurs d’attribution, etc, sans forcément questionner directement le contenu des idées délirantes. Cette approche permet d’être moins confrontant avec le patient, et est utilisée comme adjuvant aux traitements antipsychotiques. Le programme, traduit en de nombreuses langues, est téléchargeable gratuitement sur internet: http://www.uke.de/mkt.
Pour en évaluer l’efficacité, l’équipe suisse a mené un essai contrôlé sur 52 patients souffrant de schizophrénie et ayant répondu seulement partiellement aux antipsychotiques. Les sujets étaient randomisés soit dans le groupe témoin, soit dans un des groupes de 3 à 10 patients bénéficiant d’un entraînement métacognitif. Jérôme Favrod rappelle que le suivi habituel en Suisse diffère du suivi français par un soutien infirmier plus important, et donc des doses moindres de traitements antipsychotiques. Après 6 mois de suivi, il notait une amélioration des idées délirantes, du score de sévérité de la maladie (échelle PANSS), et de la prise de conscience par les patients qu’ils souffraient d’idées délirantes.
Constatant les difficultés des patients à développer des hypothèses alternatives à leurs idées délirantes, Yasser Khazaal, psychiatre à Genève, a développé un traitement original. Intitulé Michael’s game, il s’agit d’un jeu de société à base de cartes, et dont l’objectif est d’entraîner les patients au raisonnement par hypothèses. Le jeu regroupe en moyenne de 4 à 8 participants, qui utilisent 80 cartes illustrées et toutes différentes, présentant Michael, un jeune homme, dans différentes situations de la vie quotidienne. Les patients essaient de proposer le plus d’hypothèses possibles pouvant expliquer la situation présentée dans la carte.
L’efficacité du jeu a été validée sur une population de 172 patients souffrant de trouble psychotique, et n’ayant répondu que partiellement aux traitements médicamenteux, car présentant encore des symptômes positifs. Après plusieurs semaines de séances d’utilisation du jeu, les patients avaient une meilleure capacité à questionner leurs croyances délirantes. Yasser Khazaal souligne que les patients transposent au mieux dans la vie réelle ce questionnement des croyances délirantes lorsqu’ils sont exposés à des stimulations du quotidien (travail en milieu protégé par exemple). En effet, Ils ont alors plus d’opportunités de faire le lien avec des situations décrites dans les cartes du jeu.

Et les familles ?
Mais dans la prise en charge des troubles psychotiques, il est courant que les familles soient également en souffrance, et en demande d’informations. Afin de répondre à ce besoin, Claude Leclerc et son équipe de Montréal ont évalué une nouvelle intervention, nommée AVEC, destinée aux proches de patients vivant un premier épisode psychotique. L’intervention consiste en 8 activités d’une durée de deux heures, au cours desquelles les familles reçoivent des informations sur le premier épisode psychotique, sont formées à des techniques basées sur les TCC pour aider le patient, et partagent leurs expériences de la maladie. Le programme AVEC a été évalué sur 40 patients au cours d’une étude longitudinale. Si les familles ne présentaient pas d’amélioration du soutien social après trois mois, elles présentaient une diminution de la sensibilité aux réactions des autres, ou encore de leurs symptômes dépressifs.
La Suisse ou le Canada sont manifestement très attentifs à ne pas se contenter des traitements neuroleptiques pour les patients souffrant de trouble psychotique. Ce mouvement est également porté par les infirmiers, souvent plus directement concernés par le quotidien des patients que les médecins. La recherche en soins infirmiers en France prendra peut-être son essor dans les années à venir, avec l’universitarisation des instituts de formation en soins infirmiers.

Olivier Andlauer, Besançon