Quand des écrivains dépressifs revisitent le DSM
Bruno Giordana s’intéresse aux créateurs qui ont vécu une expérience psychiatrique et écrivent cette expérience. Il retrace le parcours de William Styron (1925-2006), écrivain américain qui arrête de boire et se voit contraint de faire le « deuil de son fidèle compagnon de création » ce qui change son rapport et sa perception du monde, dont les couleurs deviennent moins éclatantes, les bruits assourdis.
William Styron explore la difficulté à communiquer un état dépressif. Le mot « dépression » lui semble inapproprié, galvaudé, « invertébré » pour qualifier une maladie d’une telle gravité. Il préfère à la sémantique de la dépression une formulation plus saisissante : « tempête sous crâne ». Il ajoute cependant que même s’il existait un vocable adéquat nous serions toujours confrontés à l’incommunicabilité de l’expérience dépressive.
Alors que son psychiatre lui lit les pages du DSM en consultation, l’écrivain se rapproche de l’intuition phénoménologique. Au-delà de la tristesse, il décrit une modification de la manière de vivre son corps. Il évoque une inscription corporelle de la dépression et une modification profonde de l’existence du déprimé qui ne peut plus instrumentaliser son corps. Il décrit aussi une modification de la temporalité, de la « géographie intime » et des champs d’existence. La poutre qui jadis renvoyait à des souvenirs heureux de ses jeux d’enfant, devient la poutre pour se pendre. William Styron est en revanche très sommaire dans l’élaboration des processus qui permettent de comprendre « comment ça va mieux ». Il évoque son hospitalisation comme le moment d’une réexpression, une reconfiguration de l’expérience. Styron suit alors les conseils de Flaubert : « Soyez régulier et ordonné dans votre vie comme un bourgeois, ainsi vous pourrez être emporté et original dans votre œuvre. ».

Quand les Pink Floyd s’invitent au congrès de psychiatrie
Comment saisir quelque chose de la psychopathologie et de la phénoménologie de la créativité ? Dominique Pringuey propose d’écouter des morceaux de rock progressif psychédélique de Syd Barett. On écoute donc, son œuvre, son histoire, comment la musique fabrique un temps, crée un espace de production d’une identité.
Syd Barett est le créateur des Pink Floyd. Il semble être un artiste né. Enfant, c’est un ange, il devient ensuite un maître charismatique de la fête, du « festum » décrit par Bin Kimura. Il invente la guitare à miroirs, modifie sans arrêt les morceaux qu’il compose et devient excentrique, écorché, acerbe. Il questionne le double, l’autre que soi-même en changeant de nom (il est né Roger Keith).
Puis, il refuse d’aller au studio d’enregistrement, s’absente indument pendant les répétitions, ou ne joue qu’une seule note. Son comportement se caractérise par des bizarreries, de l’apragmatisme, une réclusion hébéphrénique, la prise de tabac, d’alcool, de cannabis et de LSD. Après une année de succès, il vit 30 ans en ermite. Il reprend son prénom, utilise la 3ème personne pour parler de lui. Si, alors qu’il conduit il voit un vêtement qui lui plaît dans un magasin, il s’arrête au milieu de la rue, laisse le moteur en marche et entre dans la boutique. Il devient incivique et reclus.
Syd Barett invente sa vie. Son histoire met en lumière l’importance de la construction d’une « peau sociale » et de l’engagement relationnel. Dominique Pringuey propose des hypothèses diagnostiques : schizophrénie hébéphrénique, psychose déficitaire post-LSD, trouble bipolaire type V. Enfin, avec cette pathographie, il nous interroge : quel est le devoir d’ingérence du psychiatre ?

Margot Morgiève, Paris.