Vous présentez à Nantes un Poster (P058) évoquant à partir d’un cas clinique les liens entre les troubles autistiques et le syndrome catatonique. Il y a une actualité autour de ce lien si l’on considère l’augmentation des publications sur le sujet. Votre résumé soulève plusieurs questions sur les aspects diagnostiques du trouble catatonique dans un contexte de trouble autistique. A ma connaissance il existe des échelles d’évaluation des troubles autistiques et de leur sévérité, et une ou plusieurs échelles de catatonie. Qu’entendez-vous alors par échelle diagnostique “spécifique” de ces deux entités ?
J.M : Ce que j’entends, c’est qu’il me paraît essentiel d’avoir une échelle de catatonie qui filtre les symptômes pouvant être uniquement expliqués par les troubles du spectre autistique (TSA) tels que les “stéréotypies” ou le “mutisme” à la fois par leur apparition ou leur majoration, et par leur rupture avec l’état habituel du patient.
Pouvez vous préciser en quoi il peut y avoir confusion diagnostique entre l’autisme et le syndrome catatonique ?
J.M : Concernant le cas du mémoire qui présentait une forme agitée de catatonie, il nous a paru difficile de savoir si l’opposition, la rupture de contact, la majoration des stéréotypies gestuelles et la rigidité s’expliquaient par le TSA déjà connu ou par un épisode catatonique bien distinct.
Le spectre autistique est vaste et inclut des troubles de présentations et d’origines diverses aux évolutions cliniques mal connues. On commence à avoir des descriptions de manifestations plus spécifiques, comme la catatonie précisément dans le syndrome 22q13 (Shank 3) (1) et aussi dans des anomalies au niveau du chromosome 15. Votre patient a-t-il eu des explorations de cette nature?
J.M : Le patient que nous avons pris en charge a dans ses antécédents familiaux une sœur atteinte de schizophrénie et un cousin atteint d’autisme. Les précisions sur les examens qui ont été réalisés pourront être discutées lors de la présentation du poster.
Cela peut avoir aussi une importance sur le plan thérapeutique, car il n’est pas sûr que les psychotropes que nous utilisons aient les mêmes effets et donc les mêmes risques en fonction des troubles que nous soignons. Vous mentionnez le traitement du patient, comportant un neuroleptique et la triptoréline. Pouvez-nous dire les indications de ces traitements et les effets bénéfiques obtenus ?
J.M : La rispéridone avait été introduite en raison d’un comportement hétéro-agressif, en particulier à son domicile. Par la suite, un nouveau comportement hétéro-agressif fut observé en hospitalisation, mais d’allure bien différente, avec notamment une agressivité quasi-exclusivement dirigée vers les femmes et une « érection pénienne » présente lors des épisodes de contention physique. Un traitement hormonal (triptoréline) avait ainsi été mis en place, sans récidive de ce type d’épisode par la suite.
Dans le contexte de la catatonie, le rôle des neuroleptiques est complexe, entre bénéfice thérapeutique et risque iatrogène. Comment avez vous envisagé cela chez votre patient ?
J.M : Les avis concernant les risques liés aux neuroleptiques sont partagés. Certains auteurs pensent que les antipsychotiques atypiques ont un intérêt pour le traitement de la catatonie en particulier dans la schizophrénie (2), là ou d’autres constatent qu’il existe un lien entre syndrome malin des neuroleptiques et catatonie (3). Dans notre cas clinique, les manifestations catatoniques n’ont pas semblé en lien avec l’initiation du traitement par rispéridone, de même pour la triptoréline (pour laquelle nous avions échangé avec le service de pharmacovigilance du CHU de Caen).
Concernant l’association fréquente entre autisme et catatonie, je ne suis pas sûr que si une enquête parmi les confrères donnerait des résultats concordants avec ce constat épidémiologique.
J. M : J’ ai parlé avec des pédopsychiatres qui n’étaient pas familiarisés avec le concept de catatonie, et qui ont méconnu ce diagnostic au moment de l’apparition des manifestations, ou l’associaient à une crise de « tantrum » pour les formes agitées. En fait, on soulève là un problème plus global de l’ensemble des syndromes catatoniques qui sont méconnus et sous-diagnostiqués. Pour certains psychiatres, c’est même un trouble qui ne fait pas partie des catégories cliniques pertinentes. Je ne suis qu’interne en fin de deuxième année et j’ai pourtant déjà rencontré deux cas de catatonie « occultés » par des confrères psychiatres et neurologues malgré les nombreux arguments en faveur et l’absence d’autre diagnostic. Le 1er ayant d’ailleurs fait l’objet d’une communication affichée au CFP de 2013.
Pensez-vous alors que nous sous-estimons la fréquence de cette co-occurence en raison des risques de confusion diagnostique que vous mentionnez ?
J.M : Oui, et en fait cette co-occurrence peut à mon avis interférer dans les deux sens : soit une négligence de l’épisode s’il est attribué aux TSA ou à un autre diagnostic, soit un diagnostic erroné si on prend une échelle classique de catatonie, d’où l’intérêt d’une échelle spécifique.
Avez-vous d’autres éléments concernant votre travail que vous aimeriez faire ressortir ?
J.M : Depuis la soumission du résumé pour le CFP, nous avons poursuivi ce travail pour créer nous-même une « échelle spécifique”. Nous avons soumis à ce sujet un poster pour le congrès de l’Encéphale 2015, où nous proposons aussi un travail sur les antipsychotiques pouvant être utilisés dans les troubles du spectre schizophrénique. Devant le manque de données relatives à l’emploi des antipsychotiques dans les TSA les praticiens pourraient en partie s’appuyer sur ce travail en cas de décision d’introduction d’un antipsychotique chez un patient atteint d’un TSA.

Propos recueillis par Christophe Recasens (Boissy Saint-léger)