« Jeune psychiatre », en voilà un statut passionnant, au cœur de la clinique et de l’enseignement. Plus interne, pas encore sénior, simplement « jeune psychiatre ». Fini le statut d’interne, cet « entre deux » où l’on est appelé docteur sans l’être, où l’on ressent une certaine fierté, une impression de faire partie des grands, de ceux qui… Fierté éphémère et bien fragile, comme en témoigne avec brio Thomas Lilti dans Hippocrate, son dernier film mettant en scène un interne de premier semestre face à l’immensité de l’hôpital avec tout ce que celui-ci peut contenir de laid et de beau. Comment ne pas s’identifier à ce jeune interne désemparé, pris dans des enjeux qui le dépassent ? Souvenirs, souvenirs. Certains agréables, drôles, émouvants, d’autres douloureux, tristes, déroutants. Oui, certaines scènes sont caricaturales, mais Thomas Lilti montre simplement, avec justesse, ces moments d’angoisse, de solitude, de crainte liés à l’identité d’interne et donc de médecin en formation, mais aussi aux contraintes imposées par le système (remplissage des lits, médecins étrangers exploités, enjeux narcissiques autour de la prise en charge des patients, vérités masquées, etc.).

Tiraillé entre une PH qui a comme priorité la gestion globale de son unité, des entrées et des sorties, et un médecin maghrébin FFI (faisant fonction d’interne) privilégiant l’individuel et refusant de sacrifier la prise en charge d’une vieille dame au dépends des autres patients, le jeune interne tente de se former. Il apprend son métier, doute, souffre, hésite à renoncer mais reprend finalement espoir, notamment grâce au compagnonnage magnifiquement illustré par ce film.

Mais le vrai chef d’œuvre de la rentrée cinématographique nous concerne d’encore plus près. Mommy, le dernier film de Xavier Dolan, présenté au grand public comme parlant d’un adolescent souffrant d’hyperactivité et de sa mère, fragile et veuve. L’acteur principal Antoine-Olivier Pilon est fabuleux dans ce rôle : TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité), TOP (trouble oppositionnel avec provocation), et même TC (troubles des conduites) dirait le DSM. Une sémiologie époustouflante qui vaut tous les enseignements théoriques que nous avons reçus et que nous tentons de transmettre… Mais ce qui est encore plus époustouflant, c’est le talent avec lequel le réalisateur, du haut de ses 25 ans, nous montre la folie (vécue ?) du lien. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de ce fameux lien qui est au cœur de notre métier de pédopsychiatre. Rejeté par toutes les structures sanitaires et socio-éducatives qu’il a épuisées les unes après les autres, le jeune Steeve se retrouve en tête-à-tête avec sa mère. Un tête-à-tête aliénant, fait d’injonctions paradoxales ; un lien fou, qui rend fou. Rupture ou fusion imposées alors que le cœur même du soin, le noyau même de la prise en charge de cet adolescent et de sa mère sont justement de faire tiers. Film perturbant, dérangeant, poignant. Film que l’on rêve de montrer à ses externes et à ses internes pour ses qualités didactiques certes, mais surtout car il est l’exemple même d’une des dérives potentielles de notre métier : considérer le patient comme isolément porteur d’une maladie, l’enfermer dans une catégorie nosographique à laquelle correspond un traitement standardisé, le « traiter » sans s’intéresser aux liens qu’il a avec son entourage.

Ces deux films sont brillants car chacun à sa manière, chacun sur son sujet, interpelle, dénonce, voire révolte.

Comment éviter ces dérives, comment continuer à nous intéresser à l’intersubjectivité, à la pathologie du lien, alors que l’on est envahi par des classifications visant à coter le maximum de diagnostics pour chaque patient ? De même, comment faire pour ne pas se laisser aliéner par l’administratif, pervertir par le système, par des logiques de rentabilité, de tarification, ou encore de publication prédominant sur le soin ? Je ne sais malheureusement pas, mais je sais que mon vécu (d’)interne et notamment la révolte que j’ai ressentie dans certains services devant des décisions mettant en péril le soin au profit d’enjeux de pouvoir, d’enjeux économiques, d’enjeux narcissiques, sont toujours aussi à vif, alors même que me voilà « jeune psychiatre » et que le statut de « psychiatre senior » n’est plus si loin.