Jean Christophe Dollé ne craint pas de mettre en scène la folie. Déjà son précédent spectacle, Abilifaïe-Leponaix, réussissait  avec quatre comédiens le pari de donner à la parole schizophrène une force scénique incroyablement vive, attachante et menaçante, animée par un formidable chaos sonore qui n’avait rien à envier à un authentique vécu hallucinatoire. Psychiatre rompu au partage de ces expériences avec des patients, ou spectateur non averti du vécu schizophrénique, on n’en ressortait pas indemne.

Avec son nouveau spectacle, Mangez-le… si vous voulez, il se jette à corps perdu dans l’étouffante ambiance d’une journée d’abomination où la folie triomphe cette fois-ci non plus au cœur des êtres humains, mais entre eux. Se jouant d’eux, provoquant leurs plus viles inclinations, elle les rassemble autour d’une haine sans nom, autour d’une victime connue de tous et qui pas plus qu’une autre ne justifie les atrocités qu’elle va subir. Pour les faits arrêtons-nous là, chacun ira selon son goût se documenter sur l’histoire telle qu’elle a été racontée après les évènements du 16 août 1870 à Hautefaye.

La recette de la mise en pièces est, comme la folie, un peu paradoxale. Il faut naturellement une foule, aliment essentiel de cette folie. Qu’à cela ne tienne, Jean-Christophe Dollé la fera à lui tout seul. Ajoutez la victime, tiens, pourquoi ne pas prendre le même comédien pour faire la victime aussi ?  Ça va pas faciliter les identifications, tant mieux on n’est pas là pour être rassurés. Dans sa cuisine anachronique décorée années 50 avec radio et batteur électrique, une poupée blonde et souriante à en faire peur donne à l’indifférence du tout un chacun son masque le plus grimaçant, entrecoupé de déchaînements hostiles mimétiques à grands renforts de couteaux de cuisine. Dans les premiers rangs du théâtre on sent déjà les effluves de quelques aliments en train de cuire, la dimension olfactive du spectacle gagnera peu à peu toute la salle, éveillant une sensorialité et des émotions redoutables pour faire basculer le spectateur dans l’horreur annoncée.

Alors ne sont-ils vraiment que 2 sur scène ? Non, ils sont 4, enfin parfois ça fait plus mais qu’importe. Deux musiciens comédiens sont sur le plateau, et une régie son épice considérablement la sauce à laquelle on va être mangé. Plus puissante que 50 personnes sur une scène, la rumeur des décibels électriques, la démultiplication obsédante des boucles vocales empilées, la déformations de timbres de voix hurlent l’hubris et entrent par effraction dans notre confortable soirée culturelle en famille au théâtre (sacré boulot de mise en son se dit-on histoire de penser à un truc un peu inerte entre deux coups de tenaille).

Je me trompe peut-être mais je me dis que Jean-Christophe Dollé n’aurait jamais eu l’idée de mettre cette épouvantable affaire sous notre nez, sans la fraîche douceur des mots écrits 6 mois plus tard par Anna, mourante, dans la neige.  Mais à propos, est-ce qu’elle a vraiment existé cette Anna ?  Qu’importe, c’est du théâtre, pas un cours d’histoire !

Alors, pourquoi ne pas réserver une table avec vos amis ?

Christophe Recasens – Boissy Saint-Léger