Débat D01 : Les technologies mobiles à l’épreuve de la clinique ? Pour ou contre leur utilisation pour la santé mentale (D01)
David MISDRAHI et Philippe COURTET.

Les objets numériques et connectés ont envahi notre quotidien depuis plusieurs années et sont de plus en plus présents dans notre santé maintenant, c’est un fait… Faut-il s’en inquiéter pour les aspects en lien avec la santé ? Certains diront que oui car ils pourraient déshumaniser la médecine et la relation soignant-patient. D’autres y voient une opportunité pour un soin de meilleur qualité.

Voici quelques éléments de réflexion qui pourront peut-être alimenter ce débat, qui reste souvent passionné dans les congrès et conférences médicales…

D’un côté, les objets numériques présentent des avantages qui semblent indéniables : permettre une évaluation plus objective des symptômes de nos patients, offrir la possibilité de dépister certaines modifications cliniques que l’œil d’un clinicien averti ne serait pas en mesure de mettre en évidence, proposer une évaluation « longue durée » (jour et nuit sur plusieurs mois) alors que la durée moyenne d’une consultation chez un psychiatre dépasse rarement 30 minutes, ainsi qu’une évaluation à distance, pour les patients domiciliés loin d’un centre de consultation. Au-delà de la simple évaluation clinique, les outils numériques peuvent permettre de mesurer l’efficacité d’un traitement instauré, l’intensité des effets indésirables éventuels. De manière plus prémonitoire, peut-on aussi imaginer que les outils numériques, avec l’accumulation de données médicales qu’ils permettent, puissent apporter un phénotypage des maladies nouveau et différent de celui enseigné dans les facultés de médecine ? Ainsi, les outils numériques pourraient-ils faire émerger de nouveaux biomarqueurs dans la maladie mentale ?

Connexion validée ou validation connectée ?

La relation médecin-malade pourrait aussi être avantageusement modifiée en permettant une meilleure implication du malade dans le soin : ce dernier pourrait venir en consultation médicale avec ses propres données médicales enregistrées et les partager avec son médecin. D’un autre côté, le numérique en santé peut faire émerger de nombreux doutes et inquiétudes : tout d’abord un problème de validation médicale de ces outils ; sous l’influence de l’industrie qui propose mois après mois des outils toujours plus novateurs et performants, les validations scientifiques de fort niveau de preuve, comme les essais contrôlés en double aveugle, n’ont pas le temps d’être mis en place. Ils sont, par ailleurs, coûteux pour les industriels, qui peuvent rechigner à les mettre en place. Puis se pose la question de la maintenance, des pannes, de l’obsolescence rapide de ces objets, ainsi que de leur multiplicité, avec parfois des outils similaires dans leur fonction mais incompatibles entre eux dans le partage d’informations. La question de la sécurisation des données médicales, en cas d’utilisation d’outils et applications multiples, se pose indéniablement. L’actualité quasi quotidienne sur le piratage des données personnelles lié aux outils numériques nous rappelle chaque jour un peu plus l’importance du problème. Le caractère intrusif de ces outils peut aussi potentiellement avoir un impact négatif sur la santé mentale du patient présentant des éléments délirants.

La fin des surprises ?

D’un point de vue plus général, comme le rappelait un quotidien récent, les applications numériques risquent-elles de signer la fin des surprises ? Car nous pouvons désormais tout devancer, tout anticiper… Quels changements psychologiques durables ces nouveaux outils sont-ils susceptibles d’induire dans les populations actuelles puis à leur descendance ?

Cela peut-il rassurer l’anxieux de pouvoir tout contrôler en amont ? Inversement, cet hyper contrôle peut-il être générateur d’une nouvelle forme de stress sociétal ?