Conférence plénière 6 Décembre 2019, 13h45 :
La dépression est-elle une maladie ?
Michel Houellebecq

Comme un avant-goût de la conférence que donnera Michel Houellebecq à Nice au CFP 2019, nous avons tenté une lecture anamnestique de son dernier roman (Sérotonine, Flammarion, 2019). Nous avons échoué à trouver une quelconque estime de l’auteur dans son rapport avec lui-même.

Florent-Claude Labrouste, la quarantaine et fumeur compulsif, est employé au ministère de l’agriculture. Il a une histoire sans amour avec Yuzu, une japonaise de 26 ans, ultra maquillée et auto-centrée. Une relation morne au possible, tant qu’il préfèrerait défenestrer Yuzu plutôt que de devoir se la « taper » à nouveau. Et de tomber sur ses vidéos où elle se prête à des sodomies zoophiles ou autres activités de Gang bang ne sont pas là pour arranger les choses, en deux-trois clics d’internet et coups de téléphone, il s’évapore de la circulation et sombre dans un hôtel Mercure du 13ème arrondissement de Paris. Par la suite, il revisite ses ex comme pour saisir ce qui aurait pu faire sauter les mailles de son tricot tout miteux. Dans cette recherche à la bouloche, avec peu d’estime de soi et un rien de reconnaissance, il atterrit en Basse-Normandie. Là, il se retrouve témoin du total effondrement de son seul véritable pote, connu en école d’agro. Aymeric souffre, comme tant d’autres agriculteurs, de la politique européenne de Bruxelles.

A la recherche de sérotonine.

Florent-Claude hait son prénom et conçoit des choses qui, la plupart du temps, ne vont pas plus loin que son imaginaire. Il demeure à l’extérieur de sa personne comme il l’a été auprès de ses parents. Exclu de « ce cercle magique, surnaturel qu’ils formaient tous les deux[1] ». Des parents attentifs, l’aimant correctement mais qui préféraient surtout être seul à seul. Ce quarantenaire s’échappe de sa vie par de lâches passages à l’acte et poursuit ainsi son chemin d’une vie lugubre. Amputé de tout désir, il s’interroge rarement sur les pourquoi. Sans pourquoi, il n’y a pas de comment. Il se laisse ainsi « balloter par les circonstances, faisant preuve de son incapacité à reprendre sa vie en main[2] ».

Dans ce récit Houellebecquien, même le médecin que s’en va trouver le personnage, pour se faire prescrire son antidépresseur, est glauque. A partir de cette consultation, l’essentiel de ses mouvements actifs vont être l’ingestion de ce petit comprimé blanc, ovale et sécable. Le « Captorix », cet antidépresseur de dernière génération se montre pour Florent-Claude, « d’emblée d’une efficacité surprenante[3] ». Il permet « aux patients d’intégrer avec une aisance nouvelle les rites majeurs d’une vie normale au sein d’une société évoluée (toilette, vie sociale réduite au bon voisinage, démarches administratives simples) sans nullement favoriser, contrairement aux antidépresseurs de la génération précédente, les tendances au suicide ou à l’automutilation[4] ». Notre anti-héros se retrouve « juste » nauséeux, impuissant et sa libido captive. 

Faut-il avoir un grain pour être un écrivain ?

Dans son article paru sur Slate.fr, Clément Guillet cite d’anciennes études montrant que les écrivain(e)s présenteraient plus de risques de présenter des maladies mentales que la population générale (Andreasen, 1987). Nous les voyons d’ailleurs, dans cette vidéo d’une émission de France Culture – Quand la dépression inspire, de Houellebecq à Baudelaire[5] – Georges Perec, Françoise Sagan, Marguerite Duras et le créateur de Florent-Claude Labrouste, chacun de ces écrivains maintenant, eux aussi, « leur désespoir à un niveau acceptable[6] ». La dépression est-elle une habitude des écrivains français ?


Crédit : Mosaïque de Michel Houellebecq, ActuaLitté

« Ecrivain de la souffrance ordinaire » comme il se définissait dans une interview au Figaro en 2002, au pays de Houellebecq, on y trouve les sujets de notre société ordinaire, la solitude, la sexualité et la mondialisation. Son dernier roman n’y a pas coupé, la dépression, le déclin de la France et celui de l’agriculture s’en mêlent. Le Florent-Claude de Sérotonine est certes en proie aux mêmes indicateurs biographiques que Michel Houllebecq. L’écrivain également ingénieur agronome, s’intéressant au milieu naturel et écologique, a été contractuel à la direction informatique du ministère de l’agriculture. Nous lui connaissons un récent mariage avec une chinoise d’une vingtaine d’années de moins que lui et une relation précaire à l’amour parental. Peut-être pouvons-nous également lui prêter l’expérience d’un épisode dépressif.