D11 – Biologie, Psychopathologie, Recherche – Existe-t-il un cerveau de la soif ?

Longtemps les buveurs d’absinthe, de Baudelaire à Verlaine, furent considérés comme des génies. Des génies qui auraient trouvé l’inspiration au fond de leur âme mais aussi… de la bouteille. Ce cerveau de la soif, génie du 19ème siècle, trinquerait-il de nos excès aujourd’hui ?
« Sa voix étant de la musique fine… Au plein pouvoir de la petite Fée, Que depuis lors je supplie en tremblant. »
Cette fée verte à laquelle fait référence Verlaine est l’absinthe. Lui qui était reconnu pour son absinthisme sans abstention.
L’Artemisia absinthium a eu dans l’histoire des changements de rôles, passant de bénéfique à néfaste. Connue pour ses propriétés médicinales depuis l’Antiquité elle fut aussi accusée de pouvoir entrainer des crises psychotiques. En effet, des Égyptiens en 1600 avant.J.-C. aux médecins du XVIIIe siècle, tous l’ont recommandée pour une variété de maladies. Mais en 1902, il est demandé à l’Académie nationale de médecine de rendre un avis sur l’indication de l’absinthe. La Commission sur l’alcoolisme place ainsi l’absinthe en tête des liqueurs les plus dangereuses en évaluant ses effets au niveau physiologique. Si l’absinthe est à nouveau disponible, la formule actuelle n’a pas les caractéristiques toxiques d’origine notamment du fait de la limitation de la concentration en thuyone mais demeure à fort degré d’alcool. Comment Verlaine, dès l’âge de 17 ans est tombé sur la fée verte ? Une « crise » de l’adolescence ? Et a-t-elle permis de révéler son art ? Une trop bonne inhibition frontale aurait-elle empêché ses émotions de s’exprimer librement ? Cause ou conséquence, apport ou risque ? Si les vers ne courent plus sur les pages des adolescents actuels, les verres continuent de s’accumuler pouvant laissant supposer une tendance à la prise d’alcool massive durant cette période de vie. Dix-sept ans, ce même âge où Marguerite Duras passait en deux ans d’une adolescente pleine de charme à une femme aux traits marqués par l’alcool.

« Je ne sais pas quel nom la médecine nous donne.»

C’est que qu’écrivait Marguerite Duras en parlant de son alcoolisme dans « La Vie Matérielle ». Elle spécifiait : « Il ne faut pas avoir une goutte d’alcool chez soi. Je fais partie de ces alcooliques qui recommencent à boire à partir d’un seul verre de vin. » Si on parle des auteurs alcooliques, on parle beaucoup moins des auteures, considérées comme moins nombreuses mais aussi leur addiction étant beaucoup plus sujette au scandale que leurs pairs masculins. Et pourtant les adolescentes ne sont pas moins à risque que les adolescents puisqu’il a été démontré que leurs modifications cérébrales au cours de cette période augmenteraient les risques d’intoxications alcooliques.

« Aimer est le plus grand point, qu’importe la maîtresse ? Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? »

Le débat entre le corps et le cœur n’a jamais été aussi animé depuis les nouvelles découvertes neuroscientifiques sur l’importance de la neurotoxicité de l’alcool à l’adolescence et ouvrent de nouvelles questions. Devrait-on contrôler davantage l’accès à la fée verte chez les mineurs ? Est-il possible d’identifier les futurs Verlaine ou Dumas pour prévenir leurs risques dans tomber dans l’excès de verres ? Marie-Laure Paillère-Martinot et Gabriel Robert ouvrent le débat.

Auriane Gros, Nice