D06 : Pour ou contre les médiateurs santé pairs
Modérateur : Jean-Luc Roelandt
Pour : Yves Ancelin
Contre : Bernard Durand
Au pays de la psychothérapie institutionnelle, les médiateurs santé pairs ne sont pas partout les bienvenus
Après 4 ans d’expérimentation en France, l’intervention des médiateurs santé pairs (MSP) dans les services de psychiatrie fait toujours débat. Le savoir expérientiel de la maladie et des soins a encore du mal à être considéré comme une forme de connaissance spécifique et utile, distincte de la connaissance qu’en ont les soignants qui n’ont pas vécu cette expérience.

Les médiateurs santé pairs en France

Pour introduire le débat, JL Roelandt a rappelé l’histoire du projet et son développement sous forme d’expérimentation dans trois régions, assorties de recherches quantitative et qualitative sur l’effet de ces interventions. Les conditions requises pour pouvoir être MSP étaient d’être en mesure de travailler, d’avoir une expérience d’utilisation des services de psychiatrie et d’avoir envie d’aider des personnes en soins psychiatriques. Ces MSP bénéficiaient d’une formation et le projet est d’accentuer cette formation pour la rendre qualifiante. Après 4 ans, sur 29 MSP, 14 poursuivent leur activité, 9 ont changé de cap pour un retour à l’emploi dans un autre domaine, 4 ont arrêté pour raisons de santé et 3 pour d’autres raisons. De ce point de vue le bilan est satisfaisant, et sur le plan général, plusieurs points forts de ce projet sont soulignés : Un cadrage national, une rupture dans les pratiques institutionnelles, une faisabilité démontrée malgré des débats parfois difficiles avec les équipes, une avancée dans les pratiques sociales en psychiatrie, un accès à l’emploi pour des patients, une appropriation réciproque des savoirs.

De la pair-aidance oui, mais des MSP, où et à quel titre ?

Bernard Durand ne met pas en question la particularité et la valeur du savoir expérientiel mais pose la question de sa mise en œuvre. D’après lui, les professionnels sont dans un contexte de déqualification des soins et des soignants dont les salaires n’ont pas été revalorisés, auxquels on ne propose pas de formation complémentaire et dont les postes sont remplacés par des personnels moins qualifiés. Ces conditions expliquent que des professionnels aient réagis négativement en pensant que les MSP contribuaient à la déqualification de l’univers soignant. Pour B. Durand, la création des GEM ou d’autres dispositifs, permettant de faire jouer la solidarité entre pairs souffrant de troubles psychiques, est une vraie avancée mais l’intégration d’un MSP directement au sein d’une équipe psychiatrique fait perdre un peu de son sens à la notion de médiation qui suppose une relative extériorité par rapport aux acteurs. Il craint que cela ne conduise à une impasse.

Nous contribuons à changer la façon de travailler avec les patients

Yves Ancelin, fort de son expérience positive de MSP dans un service de psychiatrie ne nie pas les craintes exprimées par les soignants à son arrivée dans le service. Il a su montrer que sa fonction était différente, qu’elle apportait autre chose aux patients. Elle a aussi permis aux soignants de changer leur regard, leur façon de parler et d’intervenir. Il note que des patients habitués des GEM sont venus rejoindre un de ses groupes parce qu’il y avait aussi des infirmiers et des éducateurs et pas seulement des patients. (En disant cela il marque aussi la difficulté pour les patients de retrouver une vie sociale plus ouverte qui parviendrait à s’extraire d’un environnement de patients et de soignants.) Il constate qu’à titre personnel cette expérience l’a beaucoup aidé, qu’elle a contribué à la stabilité de son rétablissement en développant des compétences professionnelles, en lui donnant un sentiment d’utilité auprès des patients et auprès des équipes.

Qu’en pensent les confrères présents ?

L’échange avec la salle a multiplié les témoignages favorables autour de cette expérience. Un professeur d’addictologie a rappelé que dans sa spécialité cette dynamique de pair- aidance est connue de longue date et que personne n’en conteste la portée. Un ancien président d’association d’usagers au Canada a dit que ces interventions sont maintenant plébiscitées par le corps médical. Elles enrichissent les connaissances des cliniciens sur le vécu de la pathologie et sont une source de motivation particulièrement intéressante pour les patients. JL Roelandt avait d’ailleurs rappelé un fait établi pour les patients vivant dans la rue où les MSP sont plus efficaces que les soignants pour faire accepter une démarche de soins. Pour une infirmière, cette expérience enrichissante l’a fait réfléchir à la question des frontières, en tant que citoyenne, soignante, personne pouvant elle même tomber malade un jour. Elle se demandait comment ces expériences allaient pouvoir diffuser largement dans les services.

Quelques voix discordantes ont montré que ce ne serait peut-être pas aussi simple que cela. Une consœur se demande pourquoi le savoir expérientiel appartient aux patients et pas aux soignants aussi ? Avant les psychiatres allaient tous sur le divan et savaient quelque chose de leur symptôme, ils avaient donc un savoir expérientiel (maintenant ils ne l’auraient plus…). Elle est confortée dans cette position par un confrère qui, refusant de se considérer comme représentant du normal, récuse de facto une expertise particulière au patient. Nos confrères suggèrent aux anciens patients désireux de soigner d’autres patients de suivre une formation professionnelle d’infirmier, d’éducateur, de médecin, de psychologue et d’exercer dans des conditions “normales” leur travail. Cela évitera quelque chose qui ne manquera jamais d’arriver s’ils restent des MSP, c’est leur “étiquette d’ancien patient” (sic)

Les soignants remparts ou vecteurs de la stigmatisation ?

Surprenant d’entendre ceux qui clament l’absence de différence radicale entre certaines expériences pathologiques et la normalité dans toute sa relativité névrotique ressortir ce fantôme de l’étiquette avec sa force stigmatisante négative. Comme si les professionnels du soin étaient les premiers à disqualifier une personne par le fait qu’elle a eu besoin de soins psychiatriques ! Comme s’il n’était pas possible d’envisager l’expérience pathologique comme singulière et différente, et non par une valence positive ou négative. (Comme si à la place des notions de normal et pathologique, les professionnels n’avaient pas pour habitude de ressentir avant tout les personnes comme bien portantes ou souffrantes.)

Laisser penser qu’une analyse personnelle donne accès à l’expérience de tous les états pathologiques, apporte ce savoir expérientiel généralisable à toute la clinique n’est il pas un peu présomptueux et malencontreux ? Malencontreux parce que cela laisse entendre que les patients ont juste raté le chemin de l’analyse qui leur aurait permis de vivre normalement en étant malade (c’est comme cela que je comprends la formule “je ne veux pas être le représentant du normal mais je travaille sur moi”). Présomptueux parce qu’il suppose une unité dimensionnelle des pathologies mentales comme formes excessives et symptomatiques d’une normalité elle même indéfinissable, sans contour précis. Il y a quand même pas mal d’arguments pour penser que les choses ne sont pas aussi simples.

En niant la nature de certaines différences, en refusant les diagnostics ou certains déterminismes, n’en vient on pas à élever inconsciemment des barrières plus grandes entre les patients et nous, ne devient-on pas plus normalisant en attendant qu’ils suivent le parcours classique du sujet bien portant et inséré : travail personnel et formation professionnelle conventionnelle ? Les psychiatres précurseurs de la psychothérapie institutionnelle, des soins ambulatoires rattachés à des territoires, deviendraient-ils les opposants réactionnaires d’une évolution des pratiques sociales en psychiatrie alors que d’autres spécialités médicales ont déjà pris ce chemin ?