Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n’en voyait point d’occupés
À chercher le soutien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d’amour, partant plus de joie[1]
.

[1] Les animaux malades de la peste, Fable de Jean de La Fontaine (https://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/Poemes/jean_de_la_fontaine/les_animaux_malades_de_la_peste).

« Plus d’amour, partant plus de joie ». Voici donc comment, à l’instar des animaux malades de la peste, nous vivons depuis quelques semaines. Tourterelles confinées, nous nous fuyons. Socialement distanciés nous sommes.

Distanciation sociale

L’expression de l’année ; et, si l’on n’y prend garde immédiatement, malheureusement des années à venir. Mais qu’est donc supposée désigner cette expression, si ce n’est la distance physique minimale -le plus, le mieux- et la durée de co-présence -le moins, le mieux- qu’il faut respecter avec toute autre personne pour que la probabilité d’être contaminé par les postillons qu’elle envoie et les aérosols qu’elle fait flotter dans l’air devienne acceptablement basse ? Rien de plus. Mais alors quel est l’intérêt de ramener du social dans la relation à un virus dont les meilleurs virologues nous assurent qu’il n’est probablement même pas capable de dire merci quand on se met les doigts dans le nez ? On se le demande.
Ce qu’on ferait bien de se demander également, et vite, c’est ce que nous empêche de voir, et ce que nous empêche de faire, ce verbiage d’une socialisation a priori de la distance au virus. Ce qu’il empêche de voir tout d’abord, c’est que pour que la socialité puisse revenir et la société -et nous tou(te)s donc- continuer de vivre, ce ne sont pas des isolements/confinements sociaux qui sont nécessaires, ce sont des modifications fondamentales de notre corporalité en relation, de nos « techniques du corps » qui sont requises. Et ce qu’il empêche de faire, c’est de mettre en place dès à présent, urgemment, des dispositifs de formation et d’entraînement qui permettront à chacun de refonctionner dans l’espace public et social pour permettre à nouveau, et vite, une vie « suffisamment bonne » sans se contaminer, contaminer les autres, et d’un même geste écrouler le système sanitaire et l’économie. Et rappelons ici, pour celles et ceux qui confondraient économie et indice boursier néo-libéral, que l’économie, c’est le flux des biens et le revenu des gens, partant leur nourriture, leur logement, leur santé. Bref, leur vie.

“c’est trop compliqué.”

Si nos politiques et nos experts de santé publique font le choix de cette expression inepte -distanciation sociale-, c’est sans doute pour de multiples raisons. Il est inutile de les examiner toutes, mais quelques-unes méritent d’être publiquement confrontées.
La première, je l’ai découverte à mes dépens il y a une quinzaine d’années lorsque je travaillais avec l’INPES sur la réécriture du livret d’information de la campagne nationale d’information sur la dépression. « C’est trop compliqué » me disaient les experts de la communication en santé à la lecture de la moindre phrase de plus de six mots ou contenant un mot de plus de cinq lettres ; « Fais comme si tu parlais à un enfant de 5 ans ou à une grand-mère de 80 ans ». Cette représentation qu’ont les technocrates de la santé publique de leurs ouailles est massivement structurante du niveau des discours qu’ils leur destinent, et je ne l’ai jamais vue se démentir depuis que je travaille dans ce domaine. Ce d’autant que s’y ajoute l’obsession phobique de ne pas paniquer les masses ni les désespérer en leur présentant une réalité que l’on croit si dure qu’elles ne seraient croit-on pas capables d’y faire face. Ne pas désespérer Billancourt, c’est la position pseudo-sartrienne qu’adoptent les politiques dans toute situation de crise. Privant ainsi ceux qu’ils prétendent protéger des éléments de vérité qui leur sont indispensables pour agir utilement.
Outre la création d’un brouillard conceptuel résultant du choix d’un néologisme au parfum pseudo-scientifique, ces éléments de vérité sont, c’est le deuxième point après la fabrique du crétin que nous venons d’évoquer, le plus souvent dissous par un procédé rhétorique bien connu : s’il n’y a pas de solution, il n’y a pas de problème. Autrement connu sous le nom de wishful thinking, ou pensée magique, ce mécanisme de défense prévalent dans la prime enfance, disparaît généralement en même temps que la croyance au Père Noel, à peu près à l’entrée à l’école primaire donc. Il persiste dans les troubles psychotiques, schizotypiques, obsessionnels, et pour notre malheur chez le politique ou le préfet irresponsable et dangereux qui n’hésite pas à accuser les intubés en phase terminale agonisant du Covid en réanimation d’être responsables de leur état , illustrant jusqu’au dégoût cette capacité qu’ont les politiques de rendre coupable de leurs propres égarements les individus qui en font les frais.

Pas de solution, pas de problème

Remettons donc les responsabilités à leur place en examinant les usages récents du « pas de solution, pas de problème » sur le cas des masques de protection respiratoire: il n’y a pas de masques (pour la population), donc ils sont inutiles (dans la vie quotidienne). Et comme on n’est jamais certain qu’un mécanisme de défense va tenir face au réel, il est toujours bon d’appuyer dessus avec une bonne formation réactionnelle. Ajoutons donc, qu’ils sont non seulement inutiles, mais délétères. Car comprenez-vous, il faut un doctorat en infectiologie pour être capable d’attraper deux élastiques pour se les passer derrière la tête et comprendre que le masque qui s’interpose entre l’arbre respiratoire et l’air qu’on y fait entrer n’est qu’une mesure supplémentaire, et pas alternative, aux autres mesures barrières.
Pour cela il faut en finir avec les discours et les pratiques qui prétendent résoudre le problème en nous enfermant sans mettre en place aucune stratégie de protection efficace à court, moyen et long terme. Et en affirmant que sont inefficaces voire dangereux les masques dont nous ne disposons pas parce qu’aucun des professionnels de réponse aux urgences sanitaires n’a eu apparemment l’idée de maintenir à un niveau populationnel les stocks de masques dont nous disposions. Et ce alors même que l’évidence d’un risque nucléaire, bactériologique, chimique dont il faudrait se protéger était flagrante, qu’il résulte d’un accident industriel, d’une folie terroriste, ou d’une évolution du vivant.
Et mettons en place, maintenant, une formation intensive de la population aux bonnes pratiques et aux bons outils de protection.