Marc-Antoine Crocq, président du CFP 2019 à Nice, doit sa notoriété à son implication dans la traduction du DSM-5 dont il a codirigé, avec le professeur Julien Guelfi, la version française. Psychiatre, il a longtemps exercé comme praticien hospitalier dans un service de psychiatrie adulte à l’hôpital de Rouffach. Depuis 10 ans, il dirige la maison des adolescents du Haut Rhin.
Ce n’est pas, précisément, par vocation que Marc-Antoine Crocq a choisi de devenir psychiatre. Au commencement étaient une prédisposition exceptionnelle pour les langues et un gout prononcé pour l’histoire et la politique. Aussi, bien que son père ait été psychiatre militaire, c’est davantage dans une carrière de diplomate que Marc-Antoine Crocq peut se projeter lorsqu’il est adolescent. S’il passe le concours de médecine, c’est, dit-il, parce que cela lui apparaissait « plus simple ». Et s’il poursuit, c’est, notamment, en raison de la rencontre, au cours de son externat, avec des figures telles que le professeur Pichot ou le professeur Deniker. Ces rencontres le convainquent que la psychiatrie offre un large champ d’exploration allant de l’humain aux neurosciences et qu’il pourra y déployer utilement les modalités d’investigation et de réflexion qui lui sont propres.
Si Marc-Antoine Crocq était un nuage
Marc-Antoine Crocq est-il plus crabe ou papillon ?
Quand docteur Crocq complète sans camouflage notre questionnaire à la Proust…
La qualité que je désire chez un patient ou une patiente.
Souvent, quand ce sont les parents qui appellent la maison des adolescents pour le jeune, leur demande est urgentissime. Ça fait des années qu’ils ont pourri la vie de leur jeune mais brutalement le jeune a renversé une étagère et un des parents à l’impression que c’est urgent et qu’il n’y a un seul évènement. Alors qu’en réalité, ce n’est pas le fait que le jeune ait renversé l’étagère qui est important mais c’est que depuis des années les parents ont pourri sa vie en ayant une éducation incohérente… En psychiatrie, il y a rarement d’urgence, il n’y a pas d’artère qui saigne qu’on doive stopper donc je trouve très pénible quand les patients persistent à croire que c’est urgentissime. Généralement, si les gens restent dans l’urgence on n’arrivera pas à définir un projet thérapeutique. La qualité que je désire chez un patient c’est qu’il arrive à comprendre que ce n’est pas si urgent, et ça va avec Ma devise préférée…
Ma devise.
Festina lente. C’est une des devises les plus connues dans l’antiquité gréco-romaine. Ça a été la devise de plusieurs empereurs romains. Érasme a écrit plusieurs bouquins avec des aphorismes et l’un des premiers est Festina lente. Festina, c’est « hâte-toi », comme pour Parkinson, on dit des patients qu’ils ont une démarche festinante. Lente : « lentement ». C’est vraiment ce qu’il faut faite en thérapeutique. Il faut quand même festinare, se hâter, car le patient a une demande, il faut la prendre au sérieux, mais il faut faire ça lentement. Et c’est vrai dans sa propre vie. Moi je suis toujours sous pression par le temps avec l’impression qu’il faut tout faire tout de suite. J’ai une nouvelle tâche, un mail, j’ai l’impression que je dois la faire le jour même. C’est une devise que je trouve intéressante au niveau de la gestion du temps. C’est la devise d’Octave Auguste, de Titus, de Talleyrand. Il y a des pièces romaines qui la représentent de manière graphique : on voit un crabe tenant dans ses pinces un papillon. Le papillon virevolte sans arrêt c’est le mouvement perpétuel et le crabe avance lentement.
Ce que je voudrais être (si je n’avais pas la chance d’être psychiatre !).
Quelque chose que j’aurais beaucoup aimée, mais qui n’aurait pas forcement été réaliste, c’est d’être dans le service diplomatique. Il m’est arrivé de rendre visite à des gens qui travaillent dans des services diplomatiques à l’ambassade de France à Pékin, à Moscou. C’est quelque chose qui m’a toujours plu. Je n’ai que peu de nostalgie car maintenant on est très contraints, ça devient dangereux, il y a toujours quelqu’un qui veut vous faire exploser. Et généralement on ne va pas être en poste à Rome mais à Bagdad ou à Mogadishu. J’ai eu l’occasion de donner une conférence à Saint-Marin qui est une république autonome et j’ai rencontré un gars de Saint-Marin ambassadeur au Vatican. Je me suis dit que dans ma prochaine vie c’est le poste que je veux ! Parce que vous êtes à Rome, et il n’y a pas de crise grave à gérer. J’avais moins envie d’être ambassadeur du Vatican à Saint-Marin parce que j’ai envie d’avoir une vie familiale avec une compagne et des enfants et aujourd’hui si on est cardinal on ne peut plus le faire.
Mes auteurs favoris.
Un auteur que j’aime bien, très cultivé, qui écrit sur la cuisine -qui est un de mes grands hobbies- c’est Alan Davidson. C’est un diplomate anglais qui a été en poste dans pas mal d’endroits, notamment en Tunisie. Sa femme aimait cuisiner, faire du poisson. Là-bas, il a écrit un livre très documenté sur les poissons de méditerranée puis sur ceux de la mer du Nord. Ce sont des livres très bien au niveau biologie et science du poisson. En même temps, c’est un linguiste enthousiaste qui indique les noms des poissons dans plein de langues et dialectes arabe de Tunisie, du Liban, breton, gallois… En plus il y a des recettes. Il a rédigé l’encyclopédie The Oxford Companion to Food, l’équivalent du Larousse de la cuisine. Tout ce qu’il a écrit me passionne.
Mes auteurs favoris en prose.
Une des passions linguistiques que j’ai, c’est le russe. J’ai été une douzaine de fois en URSS et en Russie. J’avais travaillé un mois dans un service de psychiatrie de référence à Moscou en 1991, la dernière année de l’URSS. Il y avait des patients et des médecins venus de tout le pays. J’aime Pouchkine. C’est le premier à avoir fait du russe une langue littéraire. De même que Goethe est le premier à avoir fait de l’allemand une langue littéraire, avec les Souffrances du jeune Werther. Pouchkine disait que ce qui est important c’est : точность и краткость, la précision et la concision. Il ne faut pas être verbal. C’est un peu comme ça qu’écrivent Céline et Leïla Slimani. Elle écrit et après elle nettoie tous les mots qui peuvent être enlevés. Enfin, un auteur anglais que j’aime beaucoup c’est Thomas Carlyle, c’est un historien. Il a aussi des phrases très brèves, très fortes.
Mes auteurs favoris en poésie.
J’aime aussi lire la poésie russe qui a quelque chose de particulier. Elle est comme la poésie latine, il y a non seulement la rime mais aussi la scansion. Il va y avoir un rythme suivant que les syllabes sont accentuées ou pas : datquine, iambe, spondée, trochée…
J’aime les médias occidentaux, je suis abonné au Corriere della Sera, au New-York Times, au Guardian, au Monde, au Figaro, à Publico. Mais tous les médias occidentaux et américains disent souvent la même chose, de gauche ou de droite. Les medias russes, c’est encore plus fake news, mais c’est autre chose ! Ils ont une littérature pro ou anti-gouvernement assez créative. C’est la deuxième langue sur internet, en partie car ils ne sont pas très regardant avec le copyright. On trouve plein de ressources qu’il n’y a pas ailleurs. Beaucoup sont gratuites car le gouvernement souhaite exporter ses visions, notamment la CyberLeninka -bibliothèque Lénine- où l’on peut lire beaucoup de choses sur ce qu’on veut, comme l’histoire de la psychiatrie.
Mes héros dans les séries médicales télévisées.
J‘adore regarder des séries. Je me lasse souvent après un épisode. Je viens d’arriver à en terminer une, chose rare, The road to Calvary -le chemin de croix, d’après un roman d’Alexeï Tolstoï, un apparenté du grand Tolstoï. C’est une saga familiale, en 1917, alors que la révolution éclate, certains combattent pour les blancs d’autres pour les rouges. C’est intéressant car c’est assez réaliste, sans prendre de parti, ça montre la tragédie du peuple russe. Étonnamment Alexeï Tolstoï n’a pas été purgé et a même été décoré du prix Staline.
Une découverte scientifique qui a une valeur particulière à mes yeux.
Pour ce qui est de la psychiatrie biologique, ce que je trouve le plus intéressant c’est tout ce qui a avoir avec la génétique. Ça fait à peu près 20 ans que ça se développe. Je viens d’écrire un article à paraitre bientôt dans Dialogue in Clinical Neuroscience avec une collègue généticienne, Déborah Morris Rosendahl, sur l’histoire des troubles neuro-développementaux -essentiellement le handicap intellectuel, l’autisme et le Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Nous retraçons l’histoire ce qu’on appelait idiotisme jusqu’au DSM-5 et la création de la catégorie Troubles neuro-développementaux puis tout ce que la génétique va pouvoir apporter à la nomenclature et au diagnostic de ces troubles au-delà du DSM-5.
Le nom que j’aimerais donner à un nouveau médicament.
Le médicament qui me fascine, c’est le Népenthès. C’est un médicament cité par Homère dans l’Odyssée, chapitre IV, verset 219. En grec « ne » est privatif et « penthès » une famille apparentée à pathos, la souffrance, donc c’est « ne pas souffrir ». C’est un médicament qui va gommer la souffrance et dans l’Odyssée la personne qui vient vous apporter ça, c’est Elena, la fille de Zeus, la plus belle femme de son époque et de l’Histoire en général. Et en plus, elle vous le verse dans du vin et après il n’y a plus de douleur physique ni morale. Il y a eu beaucoup d’articles sur l’histoire de la médecine disant que le Népenthès était peut-être de l’opium ou du cannabis… C’est l’alpha et l’oméga du médicament. Donc moi je voudrais bien en prendre, que ce soit servi dans un bon verre de vin. J’aime bien les vins rouges tanniques, notamment le Madiran. En plus le tanin est sensé apporter du polyphénol, ce qui protège le cœur. Et je voudrais bien -donc- inviter la déesse Elena.