Maria Melchior est chercheure à l’INSERM. Elle étudie les leviers de prédiction de santé mentale s’attachant notamment à l’étude des facteurs de risques précoces et leurs retentissements sur les parcours de vie, les conduites addictives ou encore l’hyperactivité. Comment devient-on épidémiologiste ? À Nantes , lors du CFP 2018 dont elle a été la Présidente, Maria Melchior nous livre avec simplicité et pudeur quelques éléments de sa propre trajectoire.


Trajectoire d’une chercheuse qui s’intéresse aux histoires

Maria Melchior aime l’Histoire, les histoires, lire des histoires, qu’on lui raconte des histoires… Elle est aussi sensibilisée, depuis toujours, de par son histoire familiale, au poids que l’Histoire peut avoir sur la vie des gens. C’est donc, a priori, à cette discipline qu’elle se destine lorsqu’elle se rend aux États-Unis après l’obtention d’un bac littéraire. Mais, le système universitaire américain, très généraliste, lui offre l’opportunité de se découvrir un intérêt pour la psychologie clinique, domaine dans lequel elle réalise, finalement, son premier cycle d’étude.

Maria Melchior entre, ensuite, dans la vie active. Elle occupe, pendant deux ans, un poste de d’attachée de recherche dans un hôpital de Boston. Puis, elle choisit de reprendre un cursus universitaire au sein l’École de Santé Publique de Harvard même si, dit-elle, elle ne sait pas encore bien à quoi cela va la mener. À partir d’un sujet sur les inégalités sociales en matière de santé, elle va découvrir la discipline et, progressivement, identifier ses propres centres d’intérêts.

À la fin de sa thèse, Maria Melchior a cheminé dans la définition de son identité professionnelle, elle commence à élaborer ses propres projets de recherche, choisissant de poursuivre son travail dans le champ de la santé mentale et des jeunes. Dans cette perspective, elle réalise un post-doc au Mental Health Institute de Londres, où elle se forme, pendant deux ans, aux outils d’évaluation de santé mentale. En 2007, elle est recrutée à l’INSERM.

Depuis onze ans, Maria Melchior étudie des cohortes, cherchant à évaluer dans quelles mesures les difficultés psychologiques précoces et les consommations de toxiques sont liées à des difficultés familiales en terme, notamment, de santé des parents (dépression du père ou de la mère) ainsi qu’aux différences induites par les modes de gardes au cours de la petite enfance. Elle cherche aussi à déterminer comment les difficultés psychiques identifiées chez les jeunes influent sur leur parcours de vie en termes d’études, d’insertion professionnelle et de stabilité affective.

Maria Melchior prévient : « s’il peut avoir pour objectif de corriger certaines inégalités par des décisions prises à un niveau institutionnel, le travail d’épidémiologiste n’est pas un travail militant, il repose sur une très grande rigueur et exige une certaine prudence dans l’établissement de relations de causalité ». Elle porte aussi une attention particulière à la réception des données par des publics profanes, consciente du risque possible de confusion, entre ce qui relève d’une tendance générale et de ce qui relève d’un individu en particulier. Ainsi, l’épidémiologiste se montre sensible aux réactions des assistantes maternelles, qui lors de la restitution d’un travail comparant le mode de garde en crèche à celui effectué par des assistantes maternelles et dont les résultats étaient en faveur de la crèche, entendaient ces résultats comme une disqualification très personnelle. Citant Bruno Falissard, elle rappelle que l’épidémiologiste étudie des individus statistiques moyens qui n’existent pas mais qui aident à proposer des pistes de prévention.

Entre gratitude à l’égard de ses maitres, considération pour le travail de ses pairs et souci de formation des plus jeunes, le travail d’équipe et les notions de partage et d’échange traversent l’ensemble du discours de Maria Melchior, comme une évidence.

Il est peu d’enfants, ni même d’adolescent.e.s qui disent : « Quand je serai grand.e, je serai épidémiologiste ». Au travers du parcours de Maria Melchior, riche en mobilité géographique et embrassant un large corpus de connaissances, l’on conçoit que c’est une vocation qui se dessine par étapes. Chacune des étapes ont été, pour elle, l’objet de choix précis. Quelles ont été ses motivations ? Maria Melchior ne nous livre pas une histoire personnelle ficelée, elle ne cherche pas à maitriser l’impression qu’elle fait sur autrui et n’est pas d’avantage dans l’énonciation de certitudes. Et même si, au fil de l’entretien, nous avons pu glaner, comme fil conducteur, un certain nombre de valeurs qui affleuraient dans son discours comme la fidélité, le souci de justice et de justesse des positionnements scientifiques… Nous nous contenterons de recueillir l’expression de son épanouissement professionnel.

Maria Melchior dans un nuage

Que sais-je sur Maria Melchior ?

Le principal trait de mon caractère pathologique.

Je suis un peu obsessionnelle. Je ne peux pas laisser des choses pas finies.

Ce que j’apprécie le plus chez mes collègues.

Leur intelligence et leur bienveillance. On a ce luxe dans la recherche de pouvoir choisir avec qui nous souhaitons travailler, c’est très appréciable.

Mon rêve de bonheur de chercheuse.

Pouvoir former plein de gens qui vont continuer à porter et développer la thématique qui me passionne. Il n’y a pas assez de spécialistes, or il me semble préférable qu’il y ait une diversité d’experts plutôt qu’un seul omniscient.

Quel serait mon plus grand malheur.

Ne plus avoir d’inspiration, d’idées, la panne sèche sur Quoi faire ?

Ce que je voudrais être (si je n’avais pas la chance d’être chercheuse!).

Peut-être prof : Ce que je n’ai pas voulu faire avant ! J’aime le contact avec les jeunes, suivre leurs trajectoires, c’est intriguant.

Le pays où je désirerais vivre.

La France.

La couleur que je préfère pour des comprimés.

Blanc.

La fleur que j’aime.

La Rose.

L’oiseau que je préfère.

La cigogne.

Mes auteurs favoris en prose.

Romain Gary, Dostoïevski, Yasmina Khadra : Des gens qui racontent des histoires !

Mes héros dans les séries médicales télévisées.

Georges Clooney dans Urgences, je n’ai pas regardé d’autres séries médicales depuis…

Mon cocktail lytique préféré (quand il y en a vraiment besoin).

Le vin rouge.

Mes peintres favoris.

Modigliani, Malevitch, Chagall : Coloré !

Mes héros dans la vie réelle.

Mes grands parents arrivés de Pologne en France en 1930 qui ont fait la guerre d’Espagne dans les brigades internationales. Notre histoire familiale est marquée par leur engagement, le poids de l’Histoire sur la vie des gens. Mon autre paire de grands-parents a aussi vécu de sacrées évolutions générationnelles, nécessitant de grandes capacités d’adaptation, inspirantes.

Caractères historiques que je méprise le plus.

Hitler, Staline.

La réforme du système de santé que j’estime le plus.

La sécurité sociale, la couverture maladie universelle.

Le don de la nature que je voudrais avoir.

Voyager dans le temps passé.

Une découverte scientifique qui a une valeur particulière à mes yeux.

Le vaccin contre la rage par Pasteur.

Une rencontre qui a été déterminante sur mon cheminement en recherche.

Une belle rencontre intellectuelle et humaine : Ma directrice de thèse, Lisa Berkman qui travaille sur le lien et la sociabilité, l’impact des liens sociaux sur la santé, une forme de « Durkheim au 21ème siècle ». Terrie Moffitt et Avshalom Caspi qui travaillent notamment sur les interactions gène-environnement m’ont également beaucoup appris sur comment se déroule une carrière scientifique, comment se fixer des objectifs, comment encadrer des gens plus jeunes.

Un artiste, un scientifique, que j’estime méconnu.

Geoffroy Rose, un épidémiologiste anglais qui a contribué à la conceptualisation d’une approche populationnelle innovante en santé publique. Ses idées ont transformé l’approche des stratégies visant à améliorer la santé, pourtant les étudiants en épidémiologie ne connaissent plus ses textes qu’on nous enseignait.

Je peux inviter pour un repas à ma table qui je veux, personne vivante ou morte

Marie Curie et Simone Veil.

Un film qui donne une vision intéressante de la psychiatrie.

Les films de Depardon : 12 jours et Urgences. On perçoit l’énorme décalage entre les personnes hospitalisées et les juges. On voit comment le système ne s’adapte pas beaucoup aux personnes marquées par des difficultés.

État présent de mon esprit.

Serein.

Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence.

Les fautes d’inattention.

Ma devise.

Mieux vaut avoir des remords que des regrets.