Selon les régions, le taux de refus d’hospitalisation varie autour de 3 à 6 % pour un peu plus de 60.000 soins sans consentement par an, ce qui correspond donc à près de 3.000 situations pour lesquelles les soins ne sont pas validés par la justice avec tout ce que l’on peut imaginer comme conséquences, tant pour le patient que pour le rédacteur du certificat dont la responsabilité peut être mise en cause. Dans 80 % des cas de soins sans consentement non validés par le juge, la rédaction des certificats est incriminée.


La loi du 5 Juillet 2011 : des origines complexes.

Il n’est pas étonnant, et il est même justifié, que le juge s’intéresse à l’atteinte à la liberté que représente le soin sans consentement. Si nous, en tant que psychiatres, savons intimement pourquoi cette atteinte à la liberté est justifiée, il faut que cela puisse se traduire via nos certificats médicaux, et être validé par la société ; ce contrôle social est désormais confié au JLD. Notre mission est donc de fournir les bases qui permettent au juge de prendre sa décision en fonction de critères, écrits et connus, qui, jusque là, n’appartenaient pas à notre culture psychiatrique.

En d’autres termes, les origines de la loi du 5 Juillet 2011 sont plus nombreuses qu’il n’y paraît. Contrairement à ce que nous avons pu penser, et au-delà de la désormais célèbre volonté sécuritaire (affaire de Grenoble, discours d’Antony en 2008, etc.), il y a surtout eu des nécessités juridiques puisque la France a du se soumettre à des textes supranationaux mais aussi respecter sa propre Constitution :

–        Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (4 Novembre 1950, Rome). Son article 5 traite à la fois de la liberté nécessaire des citoyens mais aussi de la sûreté que l’Etat leur doit ; en ce qui nous concerne, il faut donc pouvoir préserver la liberté du patient mais préserver aussi sa propre sécurité et celle des tiers : tout cela doit pouvoir se retrouver dans nos certificats pour justifier la privation de liberté, même partielle. Son article 6 porte sur le droit à un procès équitable qui nécessite alors que le juge intervienne dans toutes les situations qui ont trait à la liberté.
–        Arrêt Baudoin (18 Novembre 2010). La Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France sur la lenteur et la complexité des démarches qu’un patient devait effectuer pour contester la légalité de son hospitalisation sous contrainte.
–        Recommandation de 2004 du Conseil de l’Europe s’imposant à ses pays adhérents. Nombre de ses directives se retrouvent dans la loi du 5 Juillet 2011 : la nécessité d’information du patient, l’assistance qu’on lui doit pour qu’il puisse faire respecter ses droits mais surtout le principe de la restriction minimale, c’est-à-dire que, dans le cas où un soin peut justifier d’une privation de liberté, celle-ci doit être la plus minimale possible (si le soin peut se faire autrement qu’à l’intérieur des murs, c’est comme cela qu’il faut le faire).
–        Constitution française. La liberté d’aller et venir, de même que le respect de la vie privée, sont des droits constitutionnels et l’article 66 stipule que « nul ne peut être arbitrairement détenu » et que l’autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle.

En résumé, il est important de retenir que 4 normes doivent être respectées simultanément, et c’est là toute la difficulté dans la rédaction de nos certificats :

–        Protéger la santé du patient, même sans son accord ;
–        Préserver au maximum ses libertés ;
–        Respecter sa vie privée ;
–        Respecter la sécurité des tiers et de l’ordre public.

Philosophie générale de la loi.

Elle repose donc sur l’application de tous ces principes : information, respect de la liberté, contrôle par le juge. L’article L3211-3 du Code de la Santé Publique est un article très important puisqu’il fait apparaître ce pouvoir du juge, tandis qu’il fait reculer celui du préfet. Il précise notamment que les restrictions à l’exercice des libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état mental du patient et à la mise en œuvre du traitement requis. Cet article est l’un des piliers de la décision du juge, c’est sur ces critères qu’il va se déterminer et c’est donc à nous de les faire apparaître dans nos certificats. Il sera également important d’y préciser que l’avis du patient a été recueilli aux différentes étapes du processus de soins.


Moyen mnémotechnique = NAP inversé.

Vous connaissiez les traitements neuroleptiques d’action prolongée, place désormais à l’adage « adapté, nécessaire et proportionné » !


Oui, mais en pratique ?

Tous ces éléments, en apparence théoriques, doivent nous permettre de savoir comment rédiger nos certificats. Dans l’immense majorité des cas, ces certificats sont le seul support de travail du JLD et ils doivent donc lui permettre de vérifier, avec  sa grille de lecture à lui, que la loi, la Constitution et les règles supranationales sont respectées. Il existe des règles précises de forme (plusieurs éléments sont impératifs : information, avis du patient, respect de ses libertés, sécurité des tiers, etc.) et de fond (démontrer pourquoi et comment il est justifié que l’on mette en place des soins sans consentement) à respecter.

  •  Le droit à l’information n’est pas impératif, il est recommandé sauf quand l’état du patient ne le permet pas. Ce droit porte sur plusieurs aspects : l’état du patient, les soins et les voies de recours (il s’agit d’un droit fondamental du procès).
  •  Plusieurs articles de la loi énoncent que les certificats doivent être circonstanciés, c’est-à-dire que nos propos doivent être détaillés et explicites et que nous devons motiver notre conclusion.
  •  Les certificats doivent contenir les éléments cliniques justifiant les soins : critères de risque suicidaire ou hétéro-agressif, critères de risque d’aggravation ou de rechute, critères de défaut ou d’incapacité à consentir, etc.
  •  Ils doivent justifier la privation de liberté du patient.
  •  Ils doivent répondre aux avancées de la jurisprudence et suivre les prescriptions légales, fonction de chaque mode de soins et de la décision à prendre.
  •  Il faut préciser que l’avis du patient a été recueilli à chaque étape et qu’une information lui a été donnée. Une phrase peut nous être utile : « au regard de l’état de santé du patient et de l’expression de ses troubles mentaux ».

Marion Azoulay, Paris.

Assistante spécialiste en psychiatrie à l’UMD Henri Colin – Groupe Hospitalier Paul Guiraud, Villejuif

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