Les troubles bipolaires sont des pathologies fréquentes (2,5 % de la population générale), chroniques, avec un taux de rechutes très important (80 % à 2 ans). L’enjeu majeur de la prise en charge de ces patients, comme l’a rappelé le Dr S. Sportiche (Paris) dans la première présentation de ce symposium, est donc bien plus la prévention des récidives que le traitement des épisodes thymiques en eux-mêmes. Le lithium reste actuellement encore le traitement prophylactique de référence des troubles bipolaires avec une efficacité supérieure aux autres thymorégulateurs. De plus, il a fait la preuve d’une action spécifique sur le risque suicidaire, action a priori indépendante de son action sur l’humeur, ce qui donne à cette molécule un profil et un intérêt très particulier.

Prédire la réponse au lithium ?

L’un des problèmes majeur posés par le lithium cependant est la variabilité très importante des réponses thérapeutiques. Environ 30 % des patients traités sont considérés après deux ans comme de très bons répondeurs et voient quasiment disparaître tout trouble, 30% sont des répondeurs partiels et 40 % sont non répondeurs.  Déterminer des facteurs prédictifs de réponse au lithium apparaît donc particulièrement utile pour la pratique clinique. Les données de la littérature sur ce sujet sont peu concluantes. Une évolution classique des troubles avec des épisodes thymiques séparés d’intervalles libres, l’existence d’antécédents familiaux de réponse au lithium sont les deux éléments les plus fréquemment rapportés. L’étude présentée par le Dr Sportiche portait rétrospectivement sur un échantillon de 300 patients bipolaires type-1 (80 %) et -2 (20 %) ayant eu un traitement par lithium, dont 17 % se sont  avérés être d’excellent répondeurs. Trois facteurs distinguaient finalement ces patients des répondeurs partiels ou des non-répondeurs : l’existence d’antécédents familiaux de bipolarité type-1, une évolution clinique typique et l’absence d’abus d’alcool sur la vie entière. Les autres caractéristiques de ces patients, dont la polarité du premier épisode ou les caractéristiques atypiques des épisodes, ne les distinguaient pas.

Lithium et marqueurs circadiens

Les anomalies du rythme circadien pourraient-ils être des marqueurs de réponse au lithium plus pertinents que la clinique? Les arguments en effet ne manquent pas pour affirmer à la fois l’existence d’anomalies des rythmes circadiens chez les patients bipolaires mais aussi l’existence d’un effet du lithium sur ces rythmes. Deux études présentées par le Dr PA Geoffroy (Lille) ont essayé de valider cette hypothèse chez les patients bipolaires. La première comparait deux groupes de patients prenant soit du lithium, soit d’autres thymorégulateurs. Cette comparaison n’a pas retrouvé de différence évidente du chronotype ou des rythmes circadiens entre les deux groupes, même si le lithium semble améliorer globalement la qualité du sommeil. La seconde étude comparait les patients bipolaires répondeurs et non-répondeurs au lithium. Ses résultats suggèrent que certains marqueurs comme le caractère saisonnier des troubles, le chronotype ou la somnolence diurne pourraient être différents entre les deux groupes.

Le risque de virage

L’apparition d’un épisode maniaque au cours d’un traitement antidépresseur est considérée comme un marqueur diagnostique de la bipolarité. Il s’agit surtout d’un facteur de mauvais pronostic associé à une aggravation du cours évolutif de la maladie avec accélération du rythme des cycles thymiques. Malgré ce risque, les antidépresseurs restent largement prescrits dans les dépressions bipolaires et 40 à 80 % des patients bipolaires reçoivent des antidépresseurs au long cours. La littérature sur les virages de l’humeur est peu concluante. La fréquence même du phénomène est en fait très mal connue (entre 9 et 40 % selon les études) et l’un des seuls éléments associé à ce risque est la polarité dépressive du premier épisode. Afin d’essayer d’apporter de nouveaux éléments sur le sujet, une étude rétrospective présentée par le Dr Brichant-Petitjean (Paris) a été réalisée  à partir de l’examen des dossiers de 754 sujets bipolaires. Parmi ces patients, ceux ayant présenté au cours de leur vie un virage maniaque sous antidépresseurs (n=75) ont été comparés à un groupe contrôle de 135 patients ayant déjà reçu au moins un traitement antidépresseur sans avoir présenté de virage de l’humeur. Une plus grande fréquence de la polarité dépressive du premier épisode mais aussi des antécédents d’abus d’alcool, de cycles rapides, de décompensation thymique brutale, ainsi qu’un nombre élevé de TS et d’épisodes thymiques distinguaient les patients ayant présenté un virage maniaque des sujets contrôles.

Christian Trichard
Orsay