Vous dites que les cliniciens sont plutôt prudents et attentifs à respecter les recommandations mais vous soulignez aussi le manque d’études qui permettraient d’asseoir certaines prescriptions sur des données solides. De fait, si le clinicien reste prudent, cela ne risque-t-il pas de restreindre ses prescriptions en les limitant aux rares traitements ayant obtenu l’AMM dans une indication spécifique ?

A l’inverse, le clinicien qui cherche avec d’autres traitements un meilleur rapport bénéfice/risque peut il être considéré comme imprudent à prescrire hors AMM ?
Pr Olivier Bonnot : Comme en pédiatrie en général les prescriptions en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sont largement hors AMM. Cela vient du manque d’études, en particulier celles faites avec des fonds de l’industrie car le marché est trop étroit. Cela devrait changer pour les nouveaux médicaments en raison de l’obligation d’études chez l’enfant lors des AMM. Il est donc nécessaire que les professionnels soient très informés de la littérature et qu’ils aient quelques idées claires pour savoir prescrire et répondre aux parents et aux enfants qui s’inquiètent légitimement lorsque le produit semble “non indiqué ” chez l enfant. L’AMM ne doit pas être une restriction mais lorsqu’on ne la respecte pas il faut être en mesure de le justifier.

Quels sont les points essentiels selon vous concernant l’information à donner aux parents et à l’enfant ou l’adolescent, si ses troubles lui permettent d’en comprendre les enjeux, préalablement à toute prescription ? Certains refus de traitement de la part des parents peuvent ils s’apparenter à des défauts de soin comme une consoeur me le demandait récemment à propos d’une situation qui lui faisait difficulté ?

Pr Olivier Bonnot : La prescription chez l’enfant nécessite une adhésion des parents et de l’enfant lui même. L’un ne va pas sans l autre et c’est malgré tout deux choses différentes. Les représentations concernant les psychotropes qu’ont les parents sont multiples et parfois liées à leurs histoires personnelles ( n’oublions pas le héritabilité et l’impact familial des troubles ). Il convient donc de prendre cela en compte dans les explications ou intervient aussi l’idée que la façon d’en parler s’appuie sur la compétence du praticien dans ce domaine. Je pense a l’autisme infantile ou les parents des patients sont parfois au courant avant certains collègues des protocoles médicamenteux en cours d évaluation. Une connaissance actualisée minimale est donc nécessaire. L’enfant, bien que sensible à l’avis de ses parents, doit également bénéficier d une approche spécifique. Il convient d’expliquer sans effrayer, en évitant les mauvaises interprétations. Pas la peine, par exemple de profiter de la consultation pour faire un cours sur les synapses à un enfant de 8 ans, ce qui peut être angoissant. Enfin, dans les cas rares ou les parents refusent le traitement qui nous semble essentiel, on doit tout faire pour les convaincre mais compte tenu des pathologies psychiatriques et de leur évolution lente (en éliminant les dépressions à risque suicidaire de toute façon peu sensible aux antidépresseurs chez l enfant), il est rarissime de devoir l’imposer Cela est possible mais serait délicat à justifier.

Dans votre article sur les antipsychotiques chez l’enfant (1), vous signalez que les études pharmacologiques mentionnent rarement les traitements non médicamenteux associés. Quelle est selon vous la raison de cette absence de prise en compte des autres aspects du traitement ? Sur un plan méthodologique, comment imagineriez vous associer ces variables aux études pharmacologiques ?

Pr Olivier Bonnot : C’est un regret profond ! En effet les techniques non médicamenteuses sont souvent les plus efficaces dans les populations pédiatriques. Cela vient probablement du manque de culture de l’évolution dans ce domaine, mais les choses changent. Il existe des travaux sur les thérapies comportementales ou, un peu moins certes, sur les thérapies d’inspiration psychanalytique. On trouve aussi beaucoup de travaux anglo-saxons sur l’évaluation des programmes de soins et cela se développe dans tous les domaines. Pour notre part nous travaillons sur la musicothérapie, et pour répondre à votre question, nous avons fait le choix d une étude conventionnelle randomisée et contrôlée. La méthodologie du cas unique est également plus fréquemment utilisée et permet dans certaines thérapeutiques innovantes de montrer des résultats pertinents et fiables.

Dans la conclusion de votre article, vous dites que des études de longues durées sont nécessaires compte tenu du fait que ces traitements sont effectivement prescrits longtemps. Savez vous s’il existe actuellement en France des cohortes qui entrent dans le cadre de tels protocoles ?

Pr Olivier Bonnot : Je pourrais citer l étude ETAPE, coordonnée au CHU de Nice par le Dr Menard et le Pr Askenazy. Financée par l ANSM a hauteur de 850 000 euros, elle évalue la tolérance biologique, ECG et clinique des antipsychotiques sur un an. C’est une étude ambitieuse visant à inclure plus de 300 patients à laquelle nous participons. C’est la plus grosse étude en cours sur fond public en France.

Pensez vous que les études approfondies de cas ou de petites séries dans un contexte “naturel” présentent toujours un intérêt ? Si oui, quels sont les éléments que vous considérez comme importants dans la présentation de ces cas cliniques ?

Pr Olivier Bonnot : Je suis un fan des études de cas. Elles sont terriblement formatrices et très stimulantes sur le plan intellectuel. Notre discipline est la seule a être totalement clinique. Il n’existe pas de vérité absolue et la discussion suscitée par ces cas est toujours intéressante. La rubrique étude de cas de l’American Journal of Psychiatry est, sur ce point, une lecture vraiment nécessaire. Et le maintien des staffs cliniques dans les services est essentiel !

Comment envisagez vous la notion de durée de traitement pour les troubles du comportement chez les enfants TED et retardés non TED ? La question de la décision de l’arrêt du traitement n’est pas toujours facile à prendre et les parents, parfois réticents à donner un traitement au début, le sont parfois aussi quand il est question de l’arrêter. Là aussi, ne devrait-il pas y avoir des études portant sur l’arrêt des traitements et l’évolution des troubles après arrêt des traitements ?

Pr Olivier Bonnot : Je suis totalement de votre avis, la question se pose pour les TSA avec ou sans retard mental qui sont souvent sur médicamentés, sur des durées trop longues et également pour les patients stabilisés ayant un THADA pour qui l’arrêt du methylphenidate présente le risque d un effet rebond. Sur ce dernier sujet, nous avons déposé un projet de recherche pour l’évaluation de techniques adjuvantes permettant de limiter le rebond. Des recherches sur les alternatives médicamenteuses sont donc nécessaires comme nous l’évoquions plus haut.