En octobre 2012, les jeunes médecins sont descendus dans la rue afin de protester contre les menaces proférées envers le secteur II. Quels étaient les enjeux ? En quoi consistaient les négociations conventionnelles de 2012 ?

Les négociations de 2012 ont été engagées à la demande du gouvernement nouvellement élu (elles ont sinon lieu tous les 5 ans habituellement) afin de mettre en place des mesures visant à encadrer les dépassements d’honoraires. Il y avait une réelle volonté politique, mais plutôt que de passer par la loi, la nouvelle ministre de la Santé a choisi de passer par cette voie dite de « négociations »… mais en menaçant constamment de légiférer si ces « négociations » n’aboutissaient pas à la conclusion finale déjà annoncée… La justification initiale de ces négociations était le prétendu problème d’accès aux soins financiers des français auprès des médecins en secteur II, alors que différents rapports chiffrés montraient que l’accès financier aux soins des français était un des meilleurs au monde ! Mais en raison de quelques histoires scandaleuses (des honoraires excessivement élevés pratiqués par une minorité de médecins souvent hospitaliers) et par idéologie, le débat n’a jamais porté sur les vrais problèmes d’accès aux soins des français…

A l’issue de ces négociations, le secteur II a finalement été maintenu sans plafonnement des dépassements d’honoraires. Les menaces sont-elles cependant toujours d’actualités ?

C’est faux : un plafonnement a été mis dans le texte final, de façon certes discrète, mais tout de même, puisque des sanctions ont été prévues pour les médecins pratiquant des honoraires supérieurs à 150 % du tarif conventionnel… Mais l’absence de précisions et le vague de certaines formules laissent la porte ouverte à de nombreuses variations dans l’application de ces « règles »… Néanmoins, un changement majeur a été acté : auparavant, c’était l’Ordre des Médecins qui était garant du respect du « tact et de la mesure » dans les honoraires médicaux… désormais, c’est l’Assurance Maladie (pourtant non concernée financièrement par les dépassements d’honoraires) qui devient le « policier » des pratiques tarifaires (en en fixant les règles et en organisant les sanctions).

Par ailleurs, un contrat d’accès aux soins a vu le jour. A quoi correspond-il ? A qui s’adresse-t-il ? Qu’est-il devenu un an plus tard ?

Le « CAS » (Contrat d’Accès aux Soins) est un engagement de la part des médecins secteur II qui le souhaitent à ne pas dépasser un certain seuil de dépassement d’honoraires (seuil plus bas que le « 150 % » officiel) et ne pas augmenter ses honoraires durant le temps du contrat (qui peut durer 3 années). Cela signifie que même si un médecin voit ses charges augmenter, même s’il s’endette pour acheter du nouveau matériel, en ayant signé ce CAS, il ne pourra pas augmenter ses honoraires alors que le coût de sa pratique (ses charges) aura lui augmenté. En contre partie de l’adhésion à ce CAS, le médecin verra une partie de ses charges sociales (URSSAF) diminuer. Ce CAS a débuté au 1er décembre 2013.

Suite aux négociations conventionnelles, une commission paritaire entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins a été mise en place afin d’identifier les dépassements abusifs et de les sanctionner. Sur quels critères était défini le caractère « abusif » ? En 2013, des sanctions ont-elles déjà vu le jour ? De quelles natures sont-elles ? Le caractère « abusif » a été défini de plusieurs façons différentes, ce qui en fait le flou et peut laisser libre-champs à chaque directeur régional de caisse d’assurance maladie… (cf la formule de l’avenant 8 : « dans le cadre d’une démarche visant à la disparition rapide des pratiques tarifaires excessives, les commissions paritaires régionales auront à leur disposition un ensemble de critères de sélection au sein desquels le taux de dépassement à 150 % du tarif opposable pourra servir de repère »). Seuls des courriers de rappel ont été envoyés à ce jour, et aucune sanction n’a encore été prononcée. Ces sanctions consistent en des interdictions de durée variable à pratiquer le dépassement d’honoraires, voire définitive.

Les médias ont relaté une mobilisation pour la défense du secteur II plus marquée chez les jeunes que chez les séniors. Comment expliquer cela ? La moyenne d’âge des médecins libéraux français est d’environ 55 ans… ceux-ci ont donc déjà presque effectué toute leur carrière et n’auront à subir les mesures décidées que pour quelques années… Tandis qu’un jeune médecin souhaitant s’installer en libéral subira pendant toute sa carrière les mesures prises ! Ainsi, s’il souhaite investir dans du matériel, racheter une clientèle, etc. il sera impacté dès le début et pour le reste de sa carrière.

Ou en est-on de la revalorisation du secteur I ? Elle n’existe hélas que sur le papier… car aucune des mesures annoncées n’a encore été traduite financièrement. Alors qu’il s’agit du cœur du problème !

Qu’en est-il de l’activité libérale exercée en intra-hospitalier ? Les praticiens hospitaliers, universitaire ou non, ont tous droit à une activité libérale hospitalière. L’encadrement des honoraires parfois exorbitants pratiqués à l’hôpital a été confié à une mission indépendante des négociations conventionnelles, malgré les demandes de tous les syndicats de médecins libéraux ! Seul un rapport a donc été écrit, sans aucune mesure concrète à ce jour…

Depuis 2009, le gouvernement travaille sur une réforme du 3ème cycle des études médicales prévoyant, entre autre, une mise en responsabilité en fin de cursus. L’accès au secteur II étant conditionné par la réalisation d’un post-internat (assistanat ou clinicat), cette réforme n’est-elle pas une menace pour l’accès au secteur II ?

Pour nous, oui, c’en est une ! Nous avons posé la question dès les premières réunions de cette nouvelle « CNIPI » Commission Nationale de l’Internat et du Post-Internat… mais hélas, on a refusé de nous répondre et même d’aborder le sujet par la suite…

Alors, Julien et Florence, la « disparition du secteur II » en un mot, c’est ?

Avant de te répondre, il faut évoquer aussi les menaces indirectes sur le secteur II comme la loi sur les réseaux de soins mutualistes avec une convention directe entre mutuelles et médecins entraînant des obligations de modération tarifaire et de non-remboursement du patient assuré s’il décide de consulter un médecin n’appartenant pas au réseau), ou encore la moindre taxation par l’Etat des mutuelles ne faisant souscrire que des contrats responsables (qui ne remboursent pas les compléments d’honoraires). De cette manière le secteur II est attaqué sur tous les fronts…

Donc en un mot, la disparition du secteur II c’est « une menace réelle nécessitant une vraie vigilance, qui pourrait entraîner la fin de l’exercice libéral de certaines spécialités, et ainsi aggraver l’accès aux soins des français » : notre système mixte public-libéral est, quoiqu’on en dise, particulièrement performant et très égalitaire, de nombreux pays au monde nous l’envie, alors pourquoi vouloir le détruire ?!?

Interview réalisée par Aude van Effenterre, décembre 2013