Patrice Boyer est un psychiatre qui ne se (la) raconte pas. Moins semble-t-il, par pudeur que par ce qui apparaît comme une exigence de son esprit de se river à ses priorités intellectuelles et éthiques. Dans cette rencontre, très authentique, avec celui qui a conjugué une carrière de clinicien et de chercheur, il apparaît clairement que le souci de sa propre histoire n’est pas en première ligne et que sa « phronésis » personnelle s’est d’avantage nourrie de ses expériences professionnelles. C’est donc, à partir de celles-ci, et peut-être aussi, grâce à la récurrence de certains mots et de certaines valeurs qui jalonnent son discours, que nous tenterons d’établir le portrait de celui qui échappe à l’investigation directe.

Patrice BOYER

Un psychiatre élégant

La carrière de ce Professeur des Universités se distingue d’une carrière classique en ce qu’elle s’est ancrée davantage dans la dimension de recherche que celle, spécifiquement, hospitalo-universitaire et aussi, parce que, avant de devenir psychiatre, Patrice Boyer a fait un détour au début de l’internat par la neurologie.

Quelles représentations précoces peuvent influencer le choix d’une carrière ? À cette question Patrice Boyer ne prétend pas répondre. Il mentionne néanmoins deux souvenirs : tout d’abord, la figure du fou telle qu’elle était, lorsqu’il était enfant, caricaturée dans les journaux : un personnage affublé d’un entonnoir sur la tête, posant devant le perron de Charenton et le sentiment mitigé que cette représentation pouvait provoquer chez lui. Une impression à la fois d’étrangeté en lien avec l’entonnoir et de familiarité que suscitait la mention du nom d’une station de métro, pour ce parisien depuis plusieurs générations. L’autre souvenir, c’est cette mention d’un proche sur la folie : « une chose à laquelle on ne comprend rien et contre laquelle on ne peut pas faire grand-chose ». Patrice Boyer, a alors sept ans, il se souvient que contre ce verdict définitif, il a éprouvé le désir de « faire quelque chose ».

Pourtant, de sa vocation, Patrice Boyer dira, sobrement, qu’elle était, au départ, dictée par le constat, en math sup, d’une inadéquation entre sa personne et ce type d’études. Cherchant une autre orientation, il saisit la suggestion d’un ami d’une inscription en médecine. Et c’est déjà nanti d’une base scientifique, qu’il s’oriente vers cette discipline. Rapidement, il se découvre un très grand intérêt pour ses études et décide de passer l’internat de Paris. C’est au travers d’un stage d’externat choisi, selon lui, opportunément, pour se laisser du temps de révision pour son concours, qu’il découvre la psychiatrie. L’endroit qui n’a « rien de palpitant », le confronte à une clinique particulièrement bouleversante : « tout à coup », dit-il, « le monde de la psychiatrie m’a désarçonné, les malades, étaient des malades du XIXème siècle, chroniques, délirants, désinsérés, certains hospitalisés à vie ». Il aura pourtant, plus tard, lors de l’internat, le sentiment que si la neurologie a déjà, à cette époque, une pertinence clinique et exploratoire très avancée, les pistes thérapeutiques y sont paradoxalement plus limitées qu’en psychiatrie où l’impact des soins et de la prise en charge semblent bien plus prometteurs. La rencontre avec le Professeur Pichot est aussi déterminante. En effet, la rigueur scientifique, l’étendue considérable de ses connaissances ainsi que les compétences épistémologiques de cette grande figure de la psychiatrie sont, pour lui, la preuve qu’une recherche scientifique exigeante peut être menée dans cette discipline.

« Tout le monde échafaude des modèles sous sa douche »

Patrice Boyer passe l’internat en 1971. Il fait son clinicat et entre à l’Inserm chez le Professeur Pichot à Sainte-Anne. À la retraite de ce dernier, il rejoindra Yves Lecrubier et Roland Jouvent (à qui il doit beaucoup) à la Salpêtrière. Il s’intéresse aux bases neuronales et fonctionnelles des comportements et obtient, à ce titre, un poste universitaire à l’UFR de biologie de Paris VII. Puis, souhaitant pratiquer la neuro-imagerie, il partira au Canada où il dirigera des recherches sur la mémoire spatiale, contextuelle et épisodique chez les personnes atteintes de schizophrénie. Dans sa pratique de chercheur comme de clinicien, Patrice Boyer est guidé par l’envie de comprendre. Il s’appuie sur sa mémoire et une propension à échafauder des modèles explicatifs à partir d’observations similaires et de la littérature scientifique. Avec humilité, il ajoute que tout le monde échafaude des modèles sous sa douche.

Alors même qu’il considère que la psychiatrie a su développer des outils d’évaluation, une méthode d’observation et un traitement statistique des données de qualité, parfois beaucoup plus rigoureux que dans d’autres champs de la médecine, c’est un regard critique que Patrice Boyer pose sur la communauté psychiatrique actuelle. Il déplore notamment son éclatement et son incapacité à exposer de façon claire toutes les richesses de sa discipline.

C’est pourquoi il est engagé au sein de l’European Brain Council qui réunit les neurosciences, la neurologie et la psychiatrie, plaide pour un traitement équitable de ces disciplines et, surtout, pour la création de ponts entre les projets de recherche. Patrice Boyer est aussi au côté de Frédéric Rouillon, à l’initiative du Congrès Français de Psychiatrie qui, depuis plus de dix ans, parvient à rassembler une communauté de professionnels œuvrant dans le champ de la psychiatrie par-delà les conflits politiques ou théoriques.

Patrice Boyer mot à mot

Nuage


Une vue proustienne sur Patrice Boyer

Patrice Boyer, ausculté au prisme de notre questionnaire à la Proust.

Le principal trait de mon caractère pathologique

Une intolérance intellectuelle à la médiocrité et à la mauvaise foi et à ce que je pense être l’absence d’esprit scientifique.

La qualité que je désire chez un patient. 

La confiance.

Ce que j’apprécie le plus chez mes collègues.

L’ouverture d’esprit. L’absence de jalousie.

Mon principal défaut en entretien. 

Peut-être une certaine obsession de proposer aux patients des solutions pratiques à tout prix, ne pas laisser les choses en suspens.

Mon occupation préférée quand je m’ennuie au cours d’un entretien.

Ça m’est très rarement arrivé de m’ennuyer parce que je considère le récit des patients comme une élaboration romanesque extemporanée. Il y a des bons romans, des mauvais romans, des romans de gare… Quelques fois c’est passionnant, d’autre fois d’une trivialité consternante, mais c’est toujours une espèce de roman extemporané, créé sur le vif.

Mon rêve de bonheur de soignant.

Guérir.

Quel serait mon plus grand malheur.

Mon plus grand malheur serait de ne plus faire de la musique.

Ce que je voudrais être (si je n’avais pas la chance d’être psychiatre !).

Pianiste.

Le pays où je désirerais vivre.

L’Italie.

La couleur que je préfère pour des comprimés.

Blanc.

La fleur que j’aime 

Le Dalhia.

L’oiseau que je préfère.

Presque tous, sauf le coucou. Ils colonisent le nid des autres et en chasse les petits. J’en ai trop rencontré dans ma carrière.

Mes auteurs favoris en prose.

Balzac, James, Borges et Proust.

Mes poètes préférés.

Rimbaud, Milton, Byron, Goethe et Heine.

Mes héros dans les séries médicales télévisées.

Au titre de mes défauts, je n’ai pas la télévision !

Mon cocktail lytique préféré (quand y’a vraiment besoin).

Je pense que je ne bois que du vin rouge. Alors un verre de Côte Rôtie.

Mes peintres favoris.

Tintoret, Botticelli, Poussin, Delacroix et van Gogh.

Mes héros dans la vie réelle.

Les gens qui risquent leur vie pour les autres, les sauveteurs, les pompiers, les miliaires, les

membres des groupes d’intervention ….

Mes héroïnes dans l’histoire 

Les combattantes qui se sont sacrifiées pour notre Liberté, au sens large. Ça va de Jeanne d’Arc aux résistantes. Et les premières féministes, pas les dernières !

Le nom que j’aimerais donner à un nouveau médicament.

Le « Redémarrons ».

Ce que je déteste par-dessus tout au cours d’un entretien.

L’agressivité.

Caractères historiques que je méprise le plus.

Tous ceux qui n’ont été menés que par leur ambition personnelle, qui ont méprisé le peuple, qui l’ont privé de sa liberté qui l’ont enfermé, torturé. Il y a l’embarras du choix : Staline et ses sbires, Hitler et ses sbires, Ceaucescu, Mao, Gengis Khan, Tamerlan.

Le passage à l’acte hétéroagressif que j’admire le plus.

Je déteste l’agressivité. Dans les propos ou dans les actes.

La réforme du système de sante que j’estime le plus.

La création de la sécurité sociale et des CHU. Depuis, il n’y a pas beaucoup de choses excellentes.

Le don de la nature que je voudrais avoir.

Retenir des partitions à la première lecture. Comme Seiji Ozawa.

Une découverte scientifique qui a une valeur particulière à mes yeux.

Ça commence par Pasteur, ensuite Watson et Crick. Ensuite, toute l’équipe de physique des particules du début du XXe siècle : Planck, Pauli, Nils Bohr. Dans notre domaine, Hebb et la loi des apprentissages neuronaux.

Une rencontre qui a été déterminante sur mon cheminement en psychiatrie.

Pierre Pichot. La découverte de la rigueur scientifique, des attendus méthodologiques, d’une histoire des connaissances qu’on ne peut ignorer, sinon on fait fausse route.

Un artiste, un scientifique, que j’estime méconnu.

Dans le domaine de la schizophrénie, Geoffrey Gray. Tout le monde est parti sur d’autres pistes, ce qui est une erreur. Tout ce qui concerne les modélisations mathématiques et quantiques du fonctionnement de l’hippocampe me parait indispensable pour comprendre la mémoire et le rapport au monde. Ce sont des articles pourtant totalement méconnus.

Réaliser des entretiens en dehors d’un bureau, où ?

Un grand parc.

Je peux inviter pour un repas à ma table qui je veux, personne vivante ou morte, en choisir 4.

Des musiciens : Mozart, Liszt et Alban Berg, Pirandello pour le théâtre et un échange sur le drame en musique.

Comment j’aimerais mourir.

Conscient et non accablé de remords.

État présent de mon esprit.

D’une façon générale, je suis moins optimiste qu’il y a vingt ans pour la plupart des domaines, mais je suis optimiste en ce qui concerne le CFP !

Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence.

Toutes les erreurs de bonne foi.

Ma devise.

Avoir le moins possible honte.