Les Harry’s – Groupe de musique & autisme

Un groupe de musique expérimentale qui, à l’image de l’art brut, a des pratiques brutes de la musique… Julien Bancilhon, psychologue à l’Elan retrouvé et à l’Hôpital d’Antony, musicien et luthier, nous a raconté l’histoire de ces jeunes et de leur transmutation, celle qui les a menés jusque sur scène pour un concert. Ou comment passer de la sonorité à la sensorialité avec des jeunes autistes (de 18 à 22 ans) de l’Hôpital de jour d’Antony. Alors, s’agit-il d’un atelier thérapeutique ?

Quelle histoire !

Au départ, il y a une association. Il s’agit de Sonic Protest, qui organise depuis 2003 le festival de musique du même nom aux Instants Chavirés à Montreuil-sous-Bois, avant qu’il ne s’exporte en région parisienne, en province puis en Europe continentale. Julien Bancilhon précise que ce festival réunit chaque année des groupes et des musiciens qui pratiquent une musique en marge des styles habituels. Le festival est « à la fois pointu, dans le sens où il n’en existe pas tant que ça des musiques “à la marge” » et à la fois multiple, car « il s’agit aussi bien de musiques à la marge du rock ou du classique, que de musiques extrêmes, à la marge de la marge… ». Puis, il y a la visite d’un musicien argentin, Anla Courtis motivant Sonic Protest à étendre l’organisation du festival à des missions plus culturelles. D’ailleurs, qu’on se le dise : le fait que le batteur du groupe – Reynols d’Anla Courtis, soit trisomique, n’est pas sans lien avec la suite de notre histoire. C’est donc grâce à l’ouverture aux actions culturelles que tout ce joli monde qui gravite autour de la planète sonore va tenter de se rencontrer, de s’accorder. Et c’est à travers cette dynamique quasi emphatique et éclatante de la musique bruitiste et expérimentale qu’un atelier réunissant Anla Courtis et les Harry’s va commencer.

Mais en fait les Harry’s, c’est qui ?

En 2011, un groupe de jeunes autistes âgés de 18 à 22 ans et suivis à l’hôpital de jour d’Antony s’essaie à des enregistrements radio façon « La Colifata ». Et, durant deux ans, ces jeunes se hasardent à des rubriques radio, font de l’expérimentation phonique autour du micro ou avec des sons amplifiés. Mais si l’original et l’inattendu sont mis à l’œuvre, souvent ça sonne un peu « à court ». Julien Bancilhon précise : « il nous aura fallu ce temps [de 2011 à 2013] pour trouver un cadre qui mette autant en valeur l’expression de ces jeunes gens. Et, dans ce cadre, la musique y est vraiment pour quelque chose. »

La Colifata

Pour ceux qui ne la connaissent pas, il s’agit de la première radio à émettre depuis un hôpital psychiatrique (l’hôpital Borda de Buenos Aires). Elle a été lancée en 1991 par un psychologue. Ce dernier, souhaitant déstigmatiser la maladie mentale, a réuni un groupe de patients autour d’un magnétophone en leur proposant de raconter leur quotidien. Grâce à leur espace radiophonique, ils ont notamment agi positivement sur la construction des représentations collectives de la santé mentale.

Quand un groupe d’éprouvés rencontre un pionnier, ça booste

C’est sans aucun doute que l’atelier avec Anla Courtis va venir redynamiser et faire que Les Harry’s s’éveillent, nous sommes en 2013. Ils montent le groupe, participent à une émission de musiques singulières et autres formes d’expressions curieuses sur une « vraie émission » à radio Libertaire avant de passer en concert au Lycée autogéré de Paris.

« Eh les gars, on passe à la radio ! »

Il y a le temps de l’enregistrement et le temps de la diffusion. Ça diffuse quand tous sont dans le camion pour le retour vers l’hôpital de jour, il est 15h30. « Au bout d’un moment, Les Harry’s se rendent compte qu’ils passent vraiment à la radio. ». Et c’est grâce à ce retour de diffusion, dans le réel et son après coup, que dans une forme de retour d’énergie, ils trouvent la motivation pour préparer la prochaine émission de Radio Tisto et leurs prochains concerts. Comme tout musicien, c’est aussi par ce regard des parents, amis et du public, que les Harry’s sont des artistes !

Du cadre naÎt l’improvisation

« Beaucoup des mouvements qui pourraient poser problème à l’extérieur sont laissés libres lors de ces ateliers. C’est le cas par exemple, d’un jeune qui répète sans cesse des phrases, comme des séquences téléphoniques de sa mère en train de parler. Il les répète, elles sont longues, parfois à voix haute et dans plein de contextes, nous sommes obligés de lui demander de ne pas le faire. (…) Là, avec un synthétiseur et sur une scène, on peut le laisser y aller. Dans ce nouveau cadre, ce jeune s’avère être un formidable poète sonore. (…). Et, même chose pour un jeune qui ne fait que de répéter des dialogues de film ou des scènes sportives imaginaires. Au fil des ateliers, il prend confiance et s’autorise à introduire de plus en plus de détails de son quotidien dans ses dialogues empruntés. »

C’est ainsi qu’écholalies ou stéréotypies verbales trouvent un nouveau sens. Ces répétitions de conversations téléphoniques qui peuvent à certains moments sonner bizarrement, sous la musique qui, comme le souligne Julien Bancilhon, peut se passer de sens, leur donne une raison d’être et de dire, tout simplement. Alors, ce trouble de la communication porté par ce contexte musical, « devient un morceau, une rubrique de radio, ça devient aussi l’introduction des concerts des Harry’s ».

Nous savons que les troubles du spectre autistique se trouvent du côté des perturbations du développement de l’enfant dans ses interactions sociales, sa communication verbale et non verbale, avec notamment des activités stéréotypées et restriction des intérêts. Là encore, nous pouvons saluer ces créations et ces éclats sonores qui sortent d’eux-mêmes, puisque Les Harry’s sont aussi des « fabriqueurs » d’instruments de musique.

Sur scène, Les Harry’s improvisent des instants autour d’un monde organisé. Le – qui prendra quel instrument– et – à quel moment – est encadré. Les jeunes ne jouent pas tous tout le temps ni en même temps. Il y a des solos, des duos, des trios et des passages collectifs, chacun s’établit dans des mouvements de scène parfois un peu compliqués nécessitant d’être accompagnés. Les musiciens-encadrants (Frank de Quengo – un des fondateur de l’association Sonic Protest, Anaële Vié et Julien Bancilhon) vont jouer les chefs d’orchestre scénique et amener le mouvement de l’un à l’autre, les déplacer sur scène ou leur amener l’instrument.

Alors, les Harry’s font-ils de la musicothérapie, de la thérapie par l’évènement ? Peu importe… de ce que nous répond Julien Bancilhon, en tous les cas, pas au premier degré ! Car, l’important précise-t-il, c’est que la création révèle ces jeunes autrement !