R6 : Addiction au travail : quels facteurs organisationnels favorisants et quelle prise en charge individuelle et collective ?
Conférencier(s) : Christine JEOFFRION, Nantes

Les points forts : l’addiction au travail est caractérisée par trois composantes

  • Une composante comportementale, marquée par l’augmentation du nombre d’heures travaillées.
  • Une composante cognitive, marquée par le fait de ne pouvoir penser à autre chose.
  • Une composante compulsive, marquée par l’impossibilité de faire autre chose.
 
Le champ des addictions comportementales s’est beaucoup élargi ces dernières années. Le concept d’addiction au travail, ou workaholism, répandu dans le milieu de la psychologie du travail, l’est moins parmi les cliniciens. Christine Jeoffrion (Nantes) a développé ce concept. Le travail excessif est considéré comme une addiction à partir du moment où le sujet est excessivement préoccupé par ses activités professionnelles, que ces préoccupations sont incontrôlables et qu’elles nuisent aux relations privées ou de loisirs. Comme dans les addictions classiques, on peut retrouver tolérance, sevrage et craving.
Facteurs favorisants l’addiction au travail
Des facteurs individuels et sociétaux/organisationnels peuvent concourir à favoriser l’addiction au travail. Les facteurs favorisants individuels comprennent des besoins insatisfaits tels que les besoins d’autonomie, les besoins d’éviter la critique, de devenir plus compétent, les besoins de reconnaissance. Il existe également des traits de personnalité favorisants tels que la conscience professionnelle, le narcissisme et le perfectionnisme. Les théories cognitives peuvent trouver des applications au workaholism, notamment les schémas et pensées automatiques et les théories de l’apprentissage (théories de renforcements positifs et négatifs de Skinner, Bandura).
Les facteurs sociétaux et organisationnels sont souvent minimisés, mais sont peut-être les plus importants. Le travail est dominé actuellement par la primauté de l’efficacité, de la performance, de la compétition et de « l’excellence ». On assiste aussi à une montée de l’individualisme, à la perte des solidarités et à la banalisation des injustices et de la violence. D’autre part, notre rapport au travail se transforme : chacun a de plus en plus la possibilité de décider quand arrêter de travailler. Les nouvelles technologies de l’information favorisent des charges de travail élevées ainsi que la confusion des temps et des lieux. Il existe également des facteurs organisationnels prédisposants tels que les perspectives d’obtention d’un poste, les contrats à durée déterminée (CDD), les rémunérations et les primes, le déroulement de carrière.

Les risques
Le travail excessif peut induire des conséquences nocives sur le sommeil, des troubles psychosomatiques, des syndromes d’épuisement professionnel (Burke 2004), des problèmes de burn out, de karoshi (mort subite liée à un surcroît de travail décrit par le japonais Hoshuyama en 2003). Le rapport Gollac et Bodier en 2011 (1) a souligné les risques ou troubles psychosociaux : 1) risques liés à l’intensité et temps de travail 2) exigence émotionnelle (mettre de côté ses problèmes émotionnels) 3) autonomie au travail : latitude décisionnelle 4) rapports sociaux au travail (harcèlement) 5) souffrances éthiques (conflits de valeur) 6) insécurité de la situation au travail (travail à durée déterminée).

Les échelles d’évaluation de l’addiction au travail
  • La Workaholism Battery (WorkBAT) à 25 items est la plus utilisée (2). Elle comprend trois dimensions : 1) implication au travail 2) tendance compulsive au travail 3) satisfaction au travail. Cet outil permet de distinguer les « workaholiques enthousiastes » qui ont des scores élevés dans les trois dimensions des « workaholiques non enthousiastes » qui n’ont des scores élevés que dans les deux premières dimensions.
  • Le Work Addiction Risk Test à 25 items (WART) qui comprend cinq dimensions : 1) tendances compulsives à travailler 2) contrôle 3) absorption (le sujet s’engouffre dans des projets) 4) impossibilité à déléguer 5) valeur attribuée au travail (3). Cet outil évalue plus des comportements de type A qu’une réelle addiction.
  • Dutch Workaholism Scale à 10 items (DUWAS) (4). Elle comprend deux dimensions : 1) travail excessif 2) comportements compulsifs au travail.
  • Bergen Addiction Scale à 14 items (BWAS) (5). Elle comprend sept dimensions : 1) saillance (préoccupations liées au travail 2) modifications de l’humeur 3) conflits avec les autres activités 4) sevrage 5) tolérance (travaille de plus en plus) 6) rechutes 7) conséquences nocives pour la santé.
Prise en charge
Au niveau individuel, les thérapies cognitivo-comportementales, notamment dérivées de la rational emotive behaviour therapy et les entretiens motivationnels visent à modifier le rapport au travail, à faire changer les pensées et les règles auto-imposées et à prendre soin de soi. D’autres thérapies peuvent être utilisées, notamment les approches psychanalytiques, les thérapies à médiation artistiques ou sportives et les groupes d’entraide.
Au niveau de l’organisation du travail, peuvent être recommandés l’identification des employés prédisposés, l’évaluation du risque, l’établissement de valeurs dans l’organisation, notamment de trouver un équilibre entre vie de famille et travail, favoriser le travail en équipe, bloquer l’accès aux boîtes mails durant les heures non travaillées et favoriser le recours aux psychologues du travail.