Le jeu de l’interview n’est pas toujours chose aisée, mais Yves Sarfati, président du CFP 2020, s’y prête de bonne grâce, et semble-t-il avec ce goût du jeu qui le caractérise. Personnalité flamboyante du monde psychiatrique, qui s’est très vite débarrassé des chaînes de la réussite professionnelle pour garder la liberté d’aller toujours « voir ailleurs », Y. Sarfati nous présente une personnalité et une trajectoire « bigarrées », composites. Non pas morcelées, ni caméléon : il n’endosse pas les goûts ou les passions des autres au gré des rencontres, mais creuse des sillons multiples avec une constance et un approfondissement qui surprennent par leur intensité, apparaissant toujours à la recherche de l’extrême singularité.
Complexe et parfois paradoxal : quoique grand voyageur, son parcours est géographiquement d’une parfaite stabilité, puisque toute sa scolarité se déroule dans le 15ème arrondissement de Paris, de la maternelle au Bac, et qu’il revient exercer aujourd’hui dans l’immeuble où il a vécu adolescent. Paradoxe encore : d’une grande vivacité, passant d’un sujet à l’autre ou d’un interlocuteur à l’autre avec une parfaite aisance, il dit avoir choisi sa spécialité médicale pour exercer son métier au calme, sans interruption ni téléphone. Cela après un stage dans le cabinet dentaire de son père, cabinet dont le caractère trop effervescent le conduit ainsi à renoncer à marcher dans les traces paternelles.
Peut-être l’histrionisme. Mais ce qui est important, c’est qu’il y ait du fond en arrière-plan. Un histrionisme creux me désolerait…
Quels sont vos auteurs favoris en prose ? En poésie ?
En littérature, je place Proust et Joyce tout en haut. En poésie, Lautréamont et Nerval ; et aussi Aragon, qui rétablit la clarté de la parole poétique, qui parle à tous, de façon simple, comme l’illustre le nombre de chansons que ses poèmes ont suscitées…
Être un homme a-t-il déterminé votre parcours ?
J’appartiens à la dernière génération avant la déconstruction du genre, avant la visibilité homosexuelle. Peut-être le fait d’être homosexuel a-t-il eu plus d’importance pour moi que d’être un homme : j’étais depuis l’enfance assigné à une position d’infériorité, à une position minoritaire ; le recours à l’imitation, dans mes premiers spectacles, a sans doute été lié à un sentiment d’impossibilité de parler en mon nom propre. Aujourd’hui encore, la question se pose de la pertinence de cette sorte de coming-out que je fais ici : cette exposition d’un domaine habituellement de l’ordre de la sphère privée est-elle légitime, utile, exagérée ? Bien qu’on demande généralement à un psychiatre d’être réservé, peut-être des jeunes collègues pourront en tirer profit.
Que seriez-vous devenu si vous aviez été une femme ?
Peut-être une cantatrice, attiré(e) par le côté diva. Certains verront dans cette réponse un écho de ma constante dévotion pour Jessye Norman…
Quelle qualité aimez-vous chez vos patients ?
La patience. Il faut que les patients parviennent à faire confiance au temps qui passe.
Quel est votre principal défaut en entretien ?
Je regarde trop mes mains.
Quelle avancée dans la pratique du soin a une valeur majeure à vos yeux ?
Encore et toujours, la révolution du secteur psychiatrique.
Quelles erreurs ou fautes vous suggèrent le moins ou le plus d’indulgence ?
Je n’ai aucune indulgence pour l’ingratitude. Quant au reste, je pense excuser beaucoup, ne serait-ce qu’en raison du déterminisme historique et biologique qui pèse sur chacun.
Quelle pourrait être votre devise ?
« Adverso flumine », traduire : à contre-courant.
llustrations : Margot Morgiève, Paris